8 juin 2006
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Issa ... Je trouve délicat de parler d'Issa, car il est à bien des égards mon préféré parmi les quatre grands Maîtres classiques (les autres étant Bashô, Buson et Ryôkan).
Ses haïkus, d'une trompeuse simplicité formelle, sont d'une telle profondeur et sont empreints d'une telle humanité que je ne peux les lire sans ressentir une émotion unique. Certains l'ont dit moins à l'aise que Bashô ou moins technicien que Buson, mais la qualité et la solidité de sa poésie sont ailleurs, dans un mélange de franchise, d'humanité et de compassion très particulier et très prenant. Peut-être cela tient-il aux épreuves qu'Issa a traversées au cours d'une vie particulièrement difficile et même tragique.
De son vrai nom Kobayashi Yataro, il naît en 1763 dans le petit village de Kashiwabara, dans la province de Nagano sur l'île de Honshû. Il s'agit donc d'un village de montagne, au climat particulièrement rude (souvenez-vous: les JO d'hiver eurent lieu à Nagano en 1998). Son père est un fermier aisé mais aussi instruit et féru de littérature, tandis que sa mère, Kuni, est la fille d'un riche fermier voisin. Le couple et leur fils vivent avec la mère de Kuni.
Le jeune Yataro connaît son premier drame à deux ans lorsque sa mère disparaît. Il sera désormais élevé par sa grand-mère. L'enfant devient taciturne et renfermé, dissimulant sous une apparente rudesse une grande sensibilité. C'est l'instituteur du village, par ailleurs propriétaire de l'auberge locale, qui l'initie à la poésie, à la calligraphie et au bouddhisme, décelant vite les prédispositions littéraires de Yataro. L'enfant en est fortement marqué, et la légende dit qu'il composa à l'age de six ans ce premier haïku:
Il a sept ans lorsque son père se remarie avec Satsu, également fille de paysans. Rapidement, cette femme travailleuse mais terre à terre voit d'un mauvais œil le penchant de Yataro pour la littérature qu'elle juge inutile. Elle obtient de son père qu'il retire l'enfant de l'école en dépit des protestations de l'instituteur. C'est le début de brimades incessantes. Elle prend l'enfant en grippe, allant jusqu'à lui interdire l'usage de la lampe pour l'empêcher de lire et d'étudier et le chargeant de corvées et de travaux aux champs. La naissance quatre ans plus tard de son demi-frère Senroku détériore encore la situation, sa belle-mère voyant alors en lui un concurrent à évincer dans la lignée. De malveillante, elle devient carrément odieuse, persécutant Yataro qui ne trouve un peu de réconfort qu'au près de sa grand-mère et dans la contemplation de la nature dans laquelle il s'évade à la moindre occasion.
Hélas, sa grand-mère disparaît alors qu'il a quatorze ans. Son père réalise enfin le calvaire qu'il vit et décide de le soustraire à la marâtre en l'envoyant à Edo chez l'un de ses parents. Voici donc Yataro, jeune campagnard aux manières rustiques, projeté dans le raffinement décadent d'une capitale où règne la corruption et les plaisirs faciles. Il y connaît des moments difficiles, finissant par trouver un emploi de palefrenier, et se console en lisant et en écrivant de la poésie:
ne possédant rien
comme mon coeur est léger
comme l'air est frais
Il entre dans l'école de haïku Katsushika fondée par un disciple de Bashô. Sa réputation de poète grandit au point qu'il succède au maître de l'école au décès de celui-ci. Cependant, il démissionne au bout d'un an, préférant sa liberté. C'est alors qu'il prend le nom d'Issa, c'est à dire une bulle dans une tasse de thé. Il se rase le crâne, prend l'habit de moine et quitte Edo pour un pèlerinage comme ses illustres devanciers Bashô et Buson. Il en ramène un journal de voyage remarqué dans les milieux littéraires.
Quinze ans après son départ, il revient dans son village natal où son père est mourant et y recueille ses dernières volontés. L'héritage devra être partagé entre les deux frères et Issa devra s'établir ici et y fonder une famille. Bien évidemment, la belle-mère et le demi-frère d'Issa contesteront ceci sitôt que le père aura fermé les yeux, et Issa retourne à Edo.
Il y mène une vie modeste, entouré de disciples à qui il enseigne l'art du haïku et d'amis sûrs qui admirent son talent, dans lequel on retrouve une simplicité et une sincérité perdues depuis Bashô.
Ce n'est que onze ans plus tard, et après une menace de procès, que la maison familiale sera enfin partagée en deux et que Issa pourra enfin s'installer chez lui et y prendre femme. Il épouse une jeune paysanne très gaie, Kiku. Il semble alors que l'horizon s'éclaircisse enfin pour Issa, à cinquante ans. Il est en effet maintenant un fermier aisé, et son talent de poète est reconnu. Il n'est pas jusqu'au seigneur local qui ne vienne parler poésie avec lui. Issa lui expose ses conceptions sans inutiles flatteries et avec sa rude franchise de paysan:
Hélas, le destin va encore s'acharner sur lui. Quatre enfants naissent de son union avec Kiku, mais aucun ne survit. Dans son chef d'oeuvre Oraga Haru (Mon printemps), Issa parle beaucoup de sa seconde enfant, une petite fille nommée Sato. C'est après son décès à l'âge de deux ans qu'il compose l'un des plus beaux haïkus de la littérature japonaise:
Un fils leur vient, qui n'atteint pas cent jours, et Issa est victime d'une première attaque qui le paralyse. Un quatrième et dernier enfant ne dépassera pas un an, et son épouse Kiku finit elle-même par s'éteindre. Il compose alors un autre haïku admirable:
Quelques années plus tard, après une seconde attaque dont il se remet et un second mariage malheureux et dissous au bout de quelques semaines, Issa épouse Yao à l'âge de soixante-quatre ans.
Peu après, sa maison brûle et il doit se réfugier dans les dépendances. Après une promenade dans la neige, une nouvelle attaque se produit et Issa quitte ce monde de rosée en 1827. On l'enterre près de sa famille. Sur sa pierre tombale, une simple pierre brute, on grave ce haïku:
Dernier pied de nez du destin, une fille posthume naît quelques mois plus tard, Yata. Elle sera la seule de ses enfants à survivre et à permettre à la lignée des Kobayashi de se prolonger jusqu'à nos jours.
Malgré les malheurs qui ont jalonné sa vie, il est frappant de constater que la poésie d'Issa ne laisse percer aucune aigreur, mais au contraire une grande sérénité et une grande compassion. Il est vrai que le poète était un fervent adepte de la doctrine de la Terre Pure, basée sur la foi, la dévotion et la croyance en un paradis.
Issa est le poète du quotidien, il sait ainsi nous toucher avec des mots simples mais biens choisis. Analyser son Art me semble inutile, mieux vaut écouter sa voix:
Pas si vaines, puisqu'elles résonnent si puissamment depuis ...
Ses haïkus, d'une trompeuse simplicité formelle, sont d'une telle profondeur et sont empreints d'une telle humanité que je ne peux les lire sans ressentir une émotion unique. Certains l'ont dit moins à l'aise que Bashô ou moins technicien que Buson, mais la qualité et la solidité de sa poésie sont ailleurs, dans un mélange de franchise, d'humanité et de compassion très particulier et très prenant. Peut-être cela tient-il aux épreuves qu'Issa a traversées au cours d'une vie particulièrement difficile et même tragique.
De son vrai nom Kobayashi Yataro, il naît en 1763 dans le petit village de Kashiwabara, dans la province de Nagano sur l'île de Honshû. Il s'agit donc d'un village de montagne, au climat particulièrement rude (souvenez-vous: les JO d'hiver eurent lieu à Nagano en 1998). Son père est un fermier aisé mais aussi instruit et féru de littérature, tandis que sa mère, Kuni, est la fille d'un riche fermier voisin. Le couple et leur fils vivent avec la mère de Kuni.
Le jeune Yataro connaît son premier drame à deux ans lorsque sa mère disparaît. Il sera désormais élevé par sa grand-mère. L'enfant devient taciturne et renfermé, dissimulant sous une apparente rudesse une grande sensibilité. C'est l'instituteur du village, par ailleurs propriétaire de l'auberge locale, qui l'initie à la poésie, à la calligraphie et au bouddhisme, décelant vite les prédispositions littéraires de Yataro. L'enfant en est fortement marqué, et la légende dit qu'il composa à l'age de six ans ce premier haïku:
viens donc avec moi
et jouons un peu ensemble
moineau orphelin
et jouons un peu ensemble
moineau orphelin
Il a sept ans lorsque son père se remarie avec Satsu, également fille de paysans. Rapidement, cette femme travailleuse mais terre à terre voit d'un mauvais œil le penchant de Yataro pour la littérature qu'elle juge inutile. Elle obtient de son père qu'il retire l'enfant de l'école en dépit des protestations de l'instituteur. C'est le début de brimades incessantes. Elle prend l'enfant en grippe, allant jusqu'à lui interdire l'usage de la lampe pour l'empêcher de lire et d'étudier et le chargeant de corvées et de travaux aux champs. La naissance quatre ans plus tard de son demi-frère Senroku détériore encore la situation, sa belle-mère voyant alors en lui un concurrent à évincer dans la lignée. De malveillante, elle devient carrément odieuse, persécutant Yataro qui ne trouve un peu de réconfort qu'au près de sa grand-mère et dans la contemplation de la nature dans laquelle il s'évade à la moindre occasion.
Hélas, sa grand-mère disparaît alors qu'il a quatorze ans. Son père réalise enfin le calvaire qu'il vit et décide de le soustraire à la marâtre en l'envoyant à Edo chez l'un de ses parents. Voici donc Yataro, jeune campagnard aux manières rustiques, projeté dans le raffinement décadent d'une capitale où règne la corruption et les plaisirs faciles. Il y connaît des moments difficiles, finissant par trouver un emploi de palefrenier, et se console en lisant et en écrivant de la poésie:
ne possédant rien
comme mon coeur est léger
comme l'air est frais
Il entre dans l'école de haïku Katsushika fondée par un disciple de Bashô. Sa réputation de poète grandit au point qu'il succède au maître de l'école au décès de celui-ci. Cependant, il démissionne au bout d'un an, préférant sa liberté. C'est alors qu'il prend le nom d'Issa, c'est à dire une bulle dans une tasse de thé. Il se rase le crâne, prend l'habit de moine et quitte Edo pour un pèlerinage comme ses illustres devanciers Bashô et Buson. Il en ramène un journal de voyage remarqué dans les milieux littéraires.
Quinze ans après son départ, il revient dans son village natal où son père est mourant et y recueille ses dernières volontés. L'héritage devra être partagé entre les deux frères et Issa devra s'établir ici et y fonder une famille. Bien évidemment, la belle-mère et le demi-frère d'Issa contesteront ceci sitôt que le père aura fermé les yeux, et Issa retourne à Edo.
Il y mène une vie modeste, entouré de disciples à qui il enseigne l'art du haïku et d'amis sûrs qui admirent son talent, dans lequel on retrouve une simplicité et une sincérité perdues depuis Bashô.
Ce n'est que onze ans plus tard, et après une menace de procès, que la maison familiale sera enfin partagée en deux et que Issa pourra enfin s'installer chez lui et y prendre femme. Il épouse une jeune paysanne très gaie, Kiku. Il semble alors que l'horizon s'éclaircisse enfin pour Issa, à cinquante ans. Il est en effet maintenant un fermier aisé, et son talent de poète est reconnu. Il n'est pas jusqu'au seigneur local qui ne vienne parler poésie avec lui. Issa lui expose ses conceptions sans inutiles flatteries et avec sa rude franchise de paysan:
ah! le rossignol
même en présence d'un prince
son chant est le même
même en présence d'un prince
son chant est le même
Hélas, le destin va encore s'acharner sur lui. Quatre enfants naissent de son union avec Kiku, mais aucun ne survit. Dans son chef d'oeuvre Oraga Haru (Mon printemps), Issa parle beaucoup de sa seconde enfant, une petite fille nommée Sato. C'est après son décès à l'âge de deux ans qu'il compose l'un des plus beaux haïkus de la littérature japonaise:
monde de rosée
rien qu'un monde de rosée
pourtant et pourtant
rien qu'un monde de rosée
pourtant et pourtant
Un fils leur vient, qui n'atteint pas cent jours, et Issa est victime d'une première attaque qui le paralyse. Un quatrième et dernier enfant ne dépassera pas un an, et son épouse Kiku finit elle-même par s'éteindre. Il compose alors un autre haïku admirable:
ne pleurez pas insectes
même les étoiles qui s'aiment
doivent se séparer
même les étoiles qui s'aiment
doivent se séparer
Quelques années plus tard, après une seconde attaque dont il se remet et un second mariage malheureux et dissous au bout de quelques semaines, Issa épouse Yao à l'âge de soixante-quatre ans.
Peu après, sa maison brûle et il doit se réfugier dans les dépendances. Après une promenade dans la neige, une nouvelle attaque se produit et Issa quitte ce monde de rosée en 1827. On l'enterre près de sa famille. Sur sa pierre tombale, une simple pierre brute, on grave ce haïku:
alors c'est donc ça
ma dernière demeure?
cinq pieds de neige
ma dernière demeure?
cinq pieds de neige
Dernier pied de nez du destin, une fille posthume naît quelques mois plus tard, Yata. Elle sera la seule de ses enfants à survivre et à permettre à la lignée des Kobayashi de se prolonger jusqu'à nos jours.
Malgré les malheurs qui ont jalonné sa vie, il est frappant de constater que la poésie d'Issa ne laisse percer aucune aigreur, mais au contraire une grande sérénité et une grande compassion. Il est vrai que le poète était un fervent adepte de la doctrine de la Terre Pure, basée sur la foi, la dévotion et la croyance en un paradis.
Issa est le poète du quotidien, il sait ainsi nous toucher avec des mots simples mais biens choisis. Analyser son Art me semble inutile, mieux vaut écouter sa voix:
pluie de printemps
la petite fille apprend
au chat à danser
un superbe cerf-volant
s'est envolé
de la hutte du mendiant
l'enfant voulait
entre ses doigts
saisir des gouttes de rosée
avec quel regard d'envie
l'oiseau en cage
suit des yeux un papillon!
à l'ombre des fleurs
même un parfait étranger
ne l'est déjà plus
fleurs de cerisiers
dans la nuit - de belles femmes
descendant du ciel
porte de branchages -
pour remplacer la serrure
juste un escargot
et enfin ce dernier poème écrit juste avant sa mort, où il fait allusion au bain donné au nouveau-né et au dernier bain donné au mort:la petite fille apprend
au chat à danser
un superbe cerf-volant
s'est envolé
de la hutte du mendiant
l'enfant voulait
entre ses doigts
saisir des gouttes de rosée
avec quel regard d'envie
l'oiseau en cage
suit des yeux un papillon!
à l'ombre des fleurs
même un parfait étranger
ne l'est déjà plus
fleurs de cerisiers
dans la nuit - de belles femmes
descendant du ciel
porte de branchages -
pour remplacer la serrure
juste un escargot
du premier baquet
jusqu'à l'ultime baquet -
de vaines paroles
jusqu'à l'ultime baquet -
de vaines paroles
Pas si vaines, puisqu'elles résonnent si puissamment depuis ...