Choses à (a)voir

Liens malins

VNBjeparticipe01E


Changez pour Firefox!

BlogueParade.com - Annuaire des Blogues francophones

Référencé par MesBlogs.com

Guide Web - annuaire gratuit

présent sur bonWeb.com

Wikio - Top des blogs - Litterature

Ajouter à Mon Yahoo!

Référencement blog


Référencé par Blogtrafic


Boosterblog

Obtenez des aperçus gratuits à partir de Snap.com

Blog déposé sur Copyright-France.com

Devoticons

Pour faire un lien sur mon blog, choisissez une image!
 

Manteau d'étoiles, l'haïku-blog de Richard

Manteau d'étoiles, l'haïku-blog de Richard

Manteau d'étoiles, l'haïku-blog de Richard

Manteau d'étoiles, l'haïku-blog de Richard

Recherche

Texte Libre

Ce blog est né d'un haïku. Le voici ...

couché sur l'herbe
dans mon manteau d'étoiles
j'ai dormi

A tout moment, vous pouvez revenir à la page d'accueil en cliquant sur la bannière ou sur l'image de droite. Si vous êtes perdus, vous trouverez aussi de l'aide ici. Bonne visite!

Archives

Manteau d'étoiles



Bienvenue sur le blog haïku de Richard (alias Yamasemi), principalement consacré au haïku et au senryû, un style de poème court venu du Japon.

Découvrez mon itinéraire dans l'écriture, une présentation des Maîtres du haïku et mes propres haïkus et senryûs au fil des jours. Vous trouverez plus d'informations sur ce blog dans la page d'aide.

Vous pouvez si vous le désirez réagir sur chaque article en utilisant le lien "Ajouter un commentaire" et, si vous avez apprécié votre visite, vous pouvez aussi recommander ce blog.
11 octobre 2007 4 11 /10 /octobre /2007 09:25
Le destin littéraire de Tan Taïgi (1709-1771) est un peu étrange. S'il apparaît dans de nombreuses anthologies de haïkus, on ne trouve pas d'ouvrages qui lui soient dédiés, c'est un peu le "maître discret" du haïku. Cela me paraît assez injuste, car Taïgi possède une musique bien à lui. Trouver des éléments biographiques détaillés est ainsi plutôt difficile, ce qui montre le relatif désintérêt qu'on lui porte en général. Ainsi, Jean-Jacques Origas dans son Dictionnaire de littérature japonaise l'ignore superbement  ...

Taïgi est contemporain de Yosa Buson, ce qui a peut-être contribué à l'éclipser tant Buson est  LE haïjin de cette génération. Pratiquement tombé dans l'oubli, c'est à Shiki que l'on doit finalement sa redécouverte. Shiki considérait en effet Taïgi comme le seul maître de haïku valable après Buson.

Il naquit en 1709 à Edo (ancien nom de Tokyo).  Taïgi apprit son art auprès du maître Keikitsu, qui faisait partie de la lignée de Kikaku, lui même disciple fameux de Bashô. Kikaku privilégiait l'observation de la vie humaine par rapport à la contemplation de la Nature.

Taïgi s'inscrit dans la grande tradition des haïjins pélerins, qui commence avec Bashô et s'achèvera avec Santoka. Si l'on a peu de détails sur ses périgrinations, on sait qu'il ne se fixera qu'en 1751 dans l'ermitage du poète et maître zen Ikkyû (littéralement "nuage fou"). Influencé par son hôte, il étudia alors le bouddhisme et envisagea un temps la prêtrise, sans toutefois aller jusqu'au bout.

Par la suite, il se fit construire un petit ermitage dans le quartier réservé de Shimahara, où son protecteur Donshi tenait une maison de plaisirs. C'est là que Taïgi passa le restant de sa vie en enseignant l'art du haïku et en faisant l'école aux enfants de ce quartier éminemment vivant ,où il eut l'occasion de cotoyer et fréquenter de nombreux acteurs et gens du spectacle.

Il faut aussi reparler de son amitié avec Buson. Les biographes de ce dernier s'accordent à dire qu'avec Takai Kitô, Chora et Kyôtai, Taïgi aida Buson à mettre au point son style. Ensemble, ils créèrent un courant appelé selon les auteurs "retour au goût de Bashô" ou  "dans le style de Bashô". Il s'agissait d'une écriture où les éléments d'une élégance classique (ga) se mélaient à des éléments contemporains issus de la vie quotidienne (zoku). Cette synthèse donna lieu à un style à la fois nouveau et solidement ancré dans la tradition, spontané et sensuel.

A la mort de Taïgi, Buson devient définitivement le chef de file de cette école. Il est toutefois dommage que son oeuvre immense, tant poétique que picturale -Buson est l'un des plus grands peintres de son temps - ait éclipsé celle de son ami Tan Taïgi.   Qu'on en juge par  les haïkus suivants!

Quoiqu'appartenant à une lignée privilégiant l'observation de la vie humaine, Taïgi excelle dans les haïkus traditionnels traitant de la Nature et des saisons. Il y fait preuve d'un sens aigu de l'observation et d'une expression très subtile.

sieste
la main cesse d'agiter
l'éventail

longue journée
mes yeux se sont usé
à contempler  la mer

oh! une luciole
je voulais crier : "Regarde!"
 mais j'étais seul

enamouré
le chat oublie le riz
qui colle à ses moustaches


"c'est le vent du printemps"
disent maître et valet
cheminant ensembles

un doux parfum  
mais de quelle fleur ?
le bosquet en été

début de l'automne
après le bain
un sentiment de lassitude

on les balaie
et puis on ne les balaie plus
les feuilles mortes

une à une
les étoiles apparaissent
quel froid!

sous la lune froide
seul je marche
le bruit du pont

pas la moindre pierre
à jeter sur le chien
la lune d'hiver

désolation hivernale -
dans le bassin d'eau de pluie
des moineaux se promènent

Mais c'est surtout dans les croquis pris sur le vif de l'activité humaine que Taïgi excelle. Le quartier réservé lui fournit maint sujets de ces saynètes pittoresques.

jouant au volant
innocentes
elles écartent les jambes

premier amour
près de la lanterne
visage contre visage

un voleur nez-à-nez avec
un renard
champ de melons

un souffle de vent :
la brise à travers les pins
refroidit la lame dégainée

le balai de bambou
trop froid pour le tenir
laissé sous le pin

en aval
le bruit d'un filet qu'on jette
sous la lune voilée

après la soupe de poisson-coffre
il psalmodie ses prières
jusque dans son sommeil

(le poisson-coffre, ou fugu, contient un poison fatal. Mal préparé, il est encore de nos jours à la source d'accidents mortels.)

Enfin, l'influence du zen est perceptible dans ces dernières pièces :

un éventail
déposé sur l'autel des voyageurs
au cours d'un pélerinage

le cerisier a fleuri cette nuit.
au delà de la porte du temple,
assieds-toi sur le chemin

des multitudes de moustiques
s'en vont chargés de sang
zazen

brume de montagne -
le gardien du sanctuaire
sonne de la conque

les jours paisibles
de ces années fugitives
oubliés
Partager cet article
Repost0
30 octobre 2006 1 30 /10 /octobre /2006 06:30
Masaoka Shiki est une sorte d'étoile filante dans le monde du haïku. En trente-cinq ans d'une vie courte mais entièrement dédié à la littérature et à la poésie, il réussit à rénover un genre que l'on considérait comme moribond, jusqu'à lui imposer ce nom de haïku par lequel il est maintenant universellement connu.

On parle souvent de Shiki comme du père du haïku moderne. A la charnière de deux époques, puisqu'il vécut lors de l'ère du Meiji qui vit l'ouverture du Japon au monde, Shiki a laissé une empreinte profonde non seulement par son oeuvre poétique mais aussi par son oeuvre critique et théorique. Marqué aussi bien par l'esthétique traditionnelle chinoise et japonaise que par l'esthétique occidentale, il ouvrit incontestablement celle du haïku, le rendant universel. Il travaillait au même type de rénovation sur le waka (littéralement "poésie japonaise" par opposition au kanshi, "poésie chinoise") avec la même méthode: réflexion historique et théorique, puis mise en pratique, lorsque la mort vint le prendre. Son importance est telle qu'on peut parfois se plaindre que le haïku japonais paraisse s'arrêter à Shiki pour la plupart des éditeurs occidentaux!

Masaoka Shiki naît en 1867 à Matsuyama sur la côte nord-ouest de l'île de Shikoku. Il est issu d'une famille de samouraï de rang peu élevé et lorsque son père alcoolique meurt en laissant la famille sans ressources, il n'a que cinq ans. Sa mère subvient seule aux besoins de son fils et de sa jeune soeur Ritsu en enseignant la couture.

La figure dominante de l'enfance de Shiki devient son grand-père maternel, Ohara Kanzan, samouraï et lettré imprégné de confucianisme. Tuteur du jeune garçon, il lui enseigne le Chinois, l'écriture, les lettres classiques. C'est le début de l'ère Meiji (1868) et le vieux samouraï sent son monde finir, avec l'engouement pour l'Occident. Il y est farouchement opposé , allant jusqu'à interdire à Shiki d'apprendre l'écriture occidentale "qui court de côté comme un crabe à travers la page".  Kanzan impose alors à son pupille de se lever à cinq heures de matin pour lui prodiguer lui-même deux heures d'enseignement dans la plus pure tradition.

A l'école, c'est un élève studieux, que ses professeurs encouragent à étudier aussi la littérature occidentale, ce que Shiki va faire après le décès de son grand-père, survenu alors qu'il a huit ans. Peu à peu va ainsi se constituer cette double culture enracinée vers la tradition mais ouverte sur l'extérieur qui imprégnera toute son oeuvre. L'ouverture en question s'accentue lorsque Shiki obtient à seize ans une bourse pour aller étudier à Tokyo

La capitale est au carrefour de la tradition et des nouvelles influences occidentales. Elève brillant, le jeune Shiki s'intéresse à des formes poétiques  nouvelles, tant occidentales que japonaises.  C'est à cette époque qu'il se passionne pour ce qu'on appelle encore le haïkaï. Il se plonge dans l'oeuvre des maîtres classiques, en particulier Bashô et commence à écrire lui-même des haïkaï.

Sa réputation grandit, il crée plusieurs clubs de poésie lorsqu'il commence à cracher du sang à l'âge de vingt-deux ans. Ce sont les premiers signes de la tuberculose qui l'emportera. Avec une auto-dérision distanciée rappelant l'état d'esprit de son grand-père , il prend pour nom de plume Shiki, c'est à dire "coucou". Cet oiseau a en effet la réputation de chanter avec tant d'ardeur qu'il finit par en cracher du sang.

Et Shiki chante en effet. Au seuil de l'université impériale de Tokyo, il est si obsédé par l'écriture qu'il ne parvient pas à réviser et rate l'examen d'entrée. Il explique comment il avait tenté de faire place nette dans son cabinet de travail, enlevant tous les livres, source potentielle de distraction. Un haïku s'étant formé dans son esprit, il ne lui était resté d'autre solution que de le noter aussitôt sur l'abat-jour. Ce haïku fut suivi d'un autre, puis d'un troisième et finalement l'abat-jour s'était vite recouvert de poèmes.

Shiki décide donc d'arrêter ses études, ce qui le prive de la bourse qui le faisait vivre. Tout ce qu'il veut désormais, c'est écrire une histoire du haïkaï classique d'une part et rendre ainsi hommage aux Maîtres et d'autre part rendre à ce genre poétique une vitalité qui lui fait désormais défaut, ayant été réduit au rang d'aimable exercice de salon pour dilettantes lettrés.

Après une période difficile financièrement parlant il réussit à placer une série de chroniques littéraires dans le quotidien Nihon. Il s'y interroge sur la décadence du haïku depuis l'époque de Bashô. Recherchant ce qui fait la force de la poésie du Maître et de son école, il conclut de manière surprenante que la dévotion paralysante à ce grand modèle a été la source principale de l'affadissement du genre. Ce faisant, il finit même par remettre en question certains aspects du style de Bashô, y trouvant des éléments prosaïques et conventionnels. Rapidement, il expose ses critères: rejet du phénomène sclérosant des écoles, liberté de ton, de thème (non seulement la nature, comme Bashô, mais aussi la  ville et le progrès moderne) et de vocabulaire (les mots chinois et occidentaux ne sont plus exclus), description pure et simple de ce qui est, à l'instar de la peinture occidentale. Shiki illustre ses propos de ses propres haïkus et encourage les lecteurs à lui envoyer leurs propres compositions.

Le succès est rapide. La liberté de ton, la nouveauté du propos, l'absence de pédantisme du jeune auteur qui ne se contente pas de discourir mais met ses théories en pratique lui attirent un courrier volumineux. Le journal Nihon lui confie très vite sa rubrique haïkus, et de jeunes poètes enthousiastes forment autour de lui un début d'école, chose qu'il récuse pourtant fermement.

Ce succès a deux conséquences: le mettre à l'abri du besoin d'une part, lui permettre de développer ses conceptions d'autre part. Ce seront ainsi près de quatre-vingt essais qui paraîtront au cours de sa carrière, toujours illustrés d'exemples. Il développe une activité intense, fondant la fameuse revue Hototogisu (autre nom du coucou), se liant avec plusieurs poètes et écrivains, dont Natsume Sôseki, alors inconnu et futur réformateur du roman japonais. Une amitié indéfectible naît entre les deux hommes, Sôseki devenant l'élève de Shiki en matière de poésie.

Mais la maladie est là, et la course contre la mort s'engage. Ayant voulu couvrir pour Nihon le conflit sino-japonais, Shiki rentre malade de Chine et se remet par miracle. Hélas, une douleur persistante  à la hanche révèle rapidement que la tuberculose a pris une forme osseuse. Petit à petit, Shiki va se retrouver cloué au lit, souffrant de plus en plus.

Son activité littéraire n'en est pas le moins du monde affectée. Il fait redécouvrir Buson, admiré comme peintre mais incroyablement inconnu comme poète.  Il tente d'appliquer au waka (ou tanka) le même traitement refondateur qu'il a appliqué au haïku: étude historique et critique, dépoussiérage, essais pratiques et appels à contribution des lecteurs.  Certains, tels Jean-Jacques Origas dans son Dictionnaire de littérature japonaise, considèrent que ce fut un échec, les deux genres poétiques étant fondamentalement différents. D'autres pensent pourtant que Shiki fut aussi un grand auteur de wakas, leur apportant le même liberté de thème, de ton et de vocabulaire qu'au haïku et revitalisant ainsi la plus ancienne forme de poésie japonaise.

Insatiable, sachant que le temps lui est compté, Shiki s'attaque aussi à la prose, mais la tuberculose finit par le vaincre à l'âge de trente-cinq ans, entouré de sa famille et de ses amis. Le coucou chante une dernière fois le 19 septembre 1902.

Sa poésie est directe et sans artifices. Shiki rejetait toute affectation, mettant en avant le shasei, croquis d'après nature. Cela ne va pas sans problèmes de traduction: trop littérale, elle rend ses haïkus un peu secs. Trop contournée, elle les trahit en ajoutant artificiellement de la joliesse à ce qui est la pure et simple beauté de l'expérience. Il m'est fréquemment arrivé de devoir lire trois ou quatre traductions différentes de certains haïkus de Shiki pour les apprécier, un phénomène que je n'avais jamais rencontré avec les autres Maîtres du genre.

Il y a donc le croquis d'après nature, dans la grande tradition de Bashô ou Buson:

dans l'eau de la cruche
nage une grenouille verte -
les pluies de mai

minuit passé -
la Voie Lactée s'incline
sur un bambou

la chauve-souris
le bruit sombre de son vol
au coeur du bosquet


Les activités humaines, admirablement saisies à l'instar d'un Buson:

on grille des châtaignes
tranquilles bavardages
crépuscule

odeur de poisson cru
village de pêcheurs
danse sous la lune

sources thermales -
la Voie Lactée
sur les corps nus

Les thèmes nouveaux, autrefois jugés inconvenants ou bien empruntés à la modernisation accélérée caractéristique de l'ère Meiji:

larves de moustiques
dans l'eau bénite
où l'on a puisé

les oies sauvages au ras
des rails du chemin de fer
nuit de lune

Il y a aussi les nuits de solitude où la tuberculose osseuse l'empêche de fermer l'oeil:

nuit sans fin -
je songe à ce qui viendra
dans dix mille ans

ce bijou d'auto-dérision:

longue nuit -
le singe rêve au moyen
d'attraper la lune

et celui-ci, une description prémonitoire de sa postérité littéraire:

solitude -
après le feu d'artifice
une étoile filante

Shiki, ce météore qui a revitalisé le haïku et l'a ouvert aux influences extérieures, reste unique. Lui qui détestait les écoles en laissera pourtant deux, animées par deux de ses disciples: celle de Kyoshi, partisan d'une stricte orthodoxie, et celle d'Hekigodo, défenseur du vers libre qui aboutira à Seisensui, Hosaï et Santoka.

Il n'en demandait pas tant, lui qui rédigea ainsi son épitaphe:

un mangeur de kakis
qui aimait les haïkus
souvenez-vous ainsi de moi
Partager cet article
Repost0
24 août 2006 4 24 /08 /août /2006 06:00
Voici venir une poétesse exceptionnelle, un des talents les plus authentiques et les plus purs du haïku japonais classique.

Chiyo Fukumasuya est née en 1703 à Matto, sur la côte nord de l'île de Honshu (l'île principale du Japon), plus précisément dans la région de Kaga. Son village est sur la route de Kyoto, aussi de nombreux voyageurs font étape dans l'une des nombreuses auberges locales.

Elle connaît une enfance heureuse, dans une ambiance littéraire et artistique puisque sa famille tient une boutique de montage de rouleaux de calligraphie. Chiyo se familiarise rapidement avec "les quatre trésors du lettré" : l'encre, le papier, les pinceaux et la pierre à encre (suzuri). On dit qu'elle composa son premier poème à l'âge de six ans.

A douze ans, son père l'envoie chez le maître de haïku Hansui afin qu'elle y apprenne l'art de la calligraphie et de la composition poétique. Elle se révèle très douée et,  devenue adolescente, sa réputation de poétesse grandit rapidement, d'autant plus que la jeune fille est d'une rare beauté, célèbre dans tout le pays. Dès l'âge de seize ans, elle commence à publier ses oeuvres dans les cercles et revues littéraires. A partir de vingt ans, elle se consacre exclusivement à la voie poétique, dans un style d'une limpidité unique. Son mode de vie simple, proche de la nature et des gens, donne à sa poésie une simplicité lumineuse et une chaleur rare.

A trente ans, c'est le drame: Chiyo perd pratiquement toute sa famille et se retrouve seule à la tête de l'échoppe de rouleaux de papiers. Elle continue cependant de plus belle son activité poétique et commence à se rapprocher des milieux bouddhistes, notamment du courant de la Terre Pure.

Finalement, elle devient à cinquante-deux  ans Chiyo Ni, c'est à dire la nonne Chiyo, prenant pour nom bouddhiste Soen, jardin nu.  Elle explique son ordination non par un rejet du monde, mais par un profond sentiment d'impermanence qui la pousse à retrouver la source pure de toutes choses.

Son statut de bonzesse lui offre paradoxalement plus de liberté que si elle était restée au monde et s'était mariée. Son activité poétique explose littéralement et sa réputation de poétesse, de peintre et de calligraphe grandit encore. Elle offre du reste fréquemment calligraphies et haïgas à ses amis.

Ce n'est pourtant que vers la fin de sa vie qu'elle publie son premier recueil.  Sa santé se détériore à partir de 1770, un an avant la parution d'un second recueil. En 1775, elle s'éteint à l'âge de soixante-douze ans, et le jardin nu le devient pour de bon, ayant perdu sa fleur la plus délicate et la plus parfumée. Nous restent heureusement les pétales de ses vers.

Il ne m'a pas été facile de faire une sélection dans les haïkus de Chiyo Ni, tant sa production est d'une qualité remarquable et constante. Un sens aigu de l'observation, de la composition et l'emploi du mot simple mais juste font de sa poésie une source limpide. Essayez donc de distinguer une goutte d'eau de source d'une autre goutte! C'est frais, cela désaltère, un point c'est tout. Après réflexion, on peut malgré tout mettre en avant ses merveilleuses descriptions de nature:

le parfum du prunier
parfaitement envoûtant
au clair de lune

pluie de printemps
toute chose
embellit

dans les jeunes herbes
les poulains couchés, debout
splendeur

Egalement remarquable, l'expression d'une sensualité féminine délicate mais certaine, et même troublante dans sa franchise:

désir de femme
profondément enraciné
les violettes

au parfum des fleurs
je ne montre que mon dos
changement de robe

jamais éteint
mon coeur de femme
j'aère mes vêtements

(ces deux poèmes ont été écrits au moment du changement rituel de kimono au passage de l'été)

le liseron du soir
la peau d'une femme
au moment où elle se découvre

La poésie de Chiyo Ni est si pure qu'on lui a même prêté des vertus térapeuthiques. On rapporte ainsi que le gouverneur de Kaga avait convié Chiyo Ni parce que le plus beau cerisier de son jardin dépérissait. Devant l'arbre malade, Chiyo Ni composa spontanément:

le printemps reviendra -
sans fleurs tu ne seras plus
que bois de chauffage

Au printemps suivant, personne ne s'étonna de voir le cerisier à nouveau couverts de fleurs ...

Sa poésie devient légèrement plus grave après qu'elle ait pris l'habit de bonzesse, mais gagne encore en profondeur:

du temps passé
me revient le souvenir
les biches au printemps

le son de la cloche du soir
immobilisé dans le ciel
les cerisiers en fleurs

les pissenlits
de temps à autre réveillent
les papillons de leurs rêves

le vent qui passe les disperse
les rassemble
les pluviers

première neige
ce que j'écris s'efface
ce que j'écris s'efface

dormant seule
réveillée par le gel nocturne
pur ravissement
Alors qu'elle allait quitter ce monde, Chiyo Ni écrit encore deux haïkus, le premier de sa main, le second dicté à Suejo, la fidèle amie qui l'accompagnera jusqu'au bout:

l'eau est limpide et fraîche
les lucioles s'éteignent
rien d'autre

j'aurai vu la lune aussi
à ce monde
adieu
Partager cet article
Repost0
8 juin 2006 4 08 /06 /juin /2006 09:09
Issa ... Je trouve délicat de parler d'Issa, car il est à bien des égards mon préféré parmi les quatre grands Maîtres classiques (les autres étant Bashô, Buson et Ryôkan).

Ses haïkus, d'une trompeuse simplicité formelle, sont d'une telle profondeur et sont empreints d'une telle humanité que je ne peux les lire sans ressentir une émotion unique. Certains l'ont dit moins à l'aise que Bashô ou moins technicien que Buson, mais la qualité et la solidité de sa poésie sont ailleurs, dans un mélange de franchise, d'humanité et de compassion très particulier et très prenant. Peut-être cela tient-il aux épreuves qu'Issa a traversées au cours d'une vie particulièrement difficile et même tragique.

De son vrai nom Kobayashi Yataro, il naît en 1763  dans le petit village de Kashiwabara, dans la province de Nagano sur l'île de Honshû. Il s'agit donc d'un village de montagne, au climat particulièrement rude (souvenez-vous: les JO d'hiver eurent lieu à Nagano en 1998). Son père est un fermier aisé mais aussi instruit et féru de littérature, tandis que sa mère, Kuni, est la fille d'un riche fermier voisin. Le couple et leur fils vivent avec la mère de Kuni.

Le jeune Yataro connaît son premier drame à deux ans lorsque sa mère disparaît. Il sera désormais élevé par sa grand-mère. L'enfant devient taciturne et renfermé, dissimulant sous une apparente rudesse une grande sensibilité. C'est l'instituteur du village, par ailleurs propriétaire de l'auberge locale, qui l'initie à la poésie, à la calligraphie et au bouddhisme, décelant vite les prédispositions littéraires de Yataro. L'enfant en est fortement marqué, et la légende dit qu'il composa à l'age de six ans ce premier haïku:

viens donc avec moi
et jouons un peu ensemble
moineau orphelin

Il a sept ans lorsque son père se remarie avec Satsu, également fille de paysans. Rapidement, cette femme travailleuse mais terre à terre voit d'un mauvais œil le penchant de Yataro pour la littérature qu'elle juge inutile. Elle obtient de son père qu'il retire l'enfant de l'école en dépit des protestations de l'instituteur. C'est le début de brimades incessantes. Elle prend l'enfant en grippe, allant jusqu'à lui interdire l'usage de la lampe pour l'empêcher de lire et d'étudier et le chargeant de corvées et de travaux aux champs. La naissance quatre ans plus tard de son demi-frère Senroku détériore encore la situation, sa belle-mère voyant alors en lui un concurrent à évincer dans la lignée. De malveillante, elle devient carrément odieuse, persécutant Yataro qui ne trouve un peu de réconfort qu'au près de sa grand-mère et dans la contemplation de la nature dans laquelle il s'évade à la moindre occasion.

Hélas, sa grand-mère disparaît alors qu'il a quatorze ans. Son père réalise enfin le calvaire qu'il vit et décide de le soustraire à la marâtre en l'envoyant à Edo chez l'un de ses parents. Voici donc Yataro, jeune campagnard aux manières rustiques, projeté dans le raffinement décadent d'une capitale où règne la corruption et les plaisirs faciles. Il y connaît des moments difficiles, finissant par trouver un emploi de palefrenier, et se console en lisant et en écrivant de la poésie:

ne possédant rien
comme mon coeur  est léger
comme l'air est frais

Il entre dans l'école de haïku Katsushika fondée par un disciple de Bashô. Sa réputation de poète grandit au point qu'il succède au maître de l'école au décès de celui-ci. Cependant, il démissionne au bout d'un an, préférant sa liberté. C'est alors qu'il prend le nom d'Issa, c'est à dire une bulle dans une tasse de thé. Il se rase le crâne, prend l'habit de moine et quitte Edo pour un pèlerinage comme ses illustres devanciers Bashô et Buson. Il en ramène un journal de voyage remarqué dans les milieux littéraires.

Quinze ans après son départ, il revient dans son village natal où son père est mourant et y recueille ses dernières volontés. L'héritage devra être partagé entre les deux frères et Issa devra s'établir ici et y fonder une famille. Bien évidemment, la belle-mère et le demi-frère d'Issa contesteront ceci sitôt que le père aura fermé les yeux, et Issa retourne à Edo.
Il y mène une vie modeste, entouré de disciples à qui il enseigne l'art du haïku et d'amis sûrs qui admirent son talent, dans lequel on retrouve une simplicité et une sincérité perdues depuis Bashô.

Ce n'est que onze ans plus tard, et après une menace de procès, que la maison familiale sera enfin partagée en deux et que Issa pourra enfin s'installer chez lui et y prendre femme. Il épouse une jeune paysanne très gaie, Kiku. Il semble alors que l'horizon s'éclaircisse enfin pour Issa, à cinquante ans. Il est en effet maintenant un fermier aisé, et son talent de poète est reconnu. Il n'est pas jusqu'au seigneur local qui ne vienne parler poésie avec lui.  Issa lui expose ses conceptions sans inutiles flatteries et avec sa rude franchise de paysan:

ah! le rossignol
même en présence d'un prince
son chant est le même

Hélas, le destin va encore s'acharner sur lui. Quatre enfants naissent de son union avec Kiku, mais aucun ne survit. Dans son chef d'oeuvre Oraga Haru (Mon printemps), Issa parle beaucoup de sa seconde enfant, une petite fille nommée Sato. C'est après son décès à l'âge de deux ans qu'il compose l'un des plus beaux haïkus de la littérature japonaise:

monde de rosée
rien qu'un monde de rosée
pourtant et pourtant

Un fils leur vient, qui n'atteint pas cent jours, et Issa est victime d'une première attaque qui le paralyse. Un quatrième et dernier enfant ne dépassera pas un an, et son épouse Kiku finit elle-même par s'éteindre. Il compose alors un autre haïku admirable:

ne pleurez pas insectes
même les étoiles qui s'aiment
doivent se séparer

Quelques années plus tard, après une seconde attaque dont il se remet et un second mariage malheureux et dissous au bout de quelques semaines, Issa épouse Yao à l'âge de soixante-quatre ans.

Peu après, sa maison brûle et il doit se réfugier dans les dépendances. Après une promenade dans la neige, une nouvelle attaque se produit et Issa quitte ce monde de rosée en 1827. On l'enterre près de sa famille. Sur sa pierre tombale, une simple pierre brute, on grave ce haïku:

alors c'est donc ça
ma dernière demeure?
cinq pieds de neige

Dernier pied de nez du destin, une fille posthume naît quelques mois plus tard, Yata. Elle sera la seule de ses enfants à survivre et à permettre à la lignée des Kobayashi de se prolonger jusqu'à nos jours.

Malgré les malheurs qui ont jalonné sa vie, il est frappant de constater que la poésie d'Issa ne laisse percer aucune aigreur, mais au contraire une grande sérénité et une grande compassion. Il est vrai que le poète était un fervent adepte de la doctrine de la Terre Pure, basée sur la foi, la dévotion et la croyance en un paradis.

Issa est le poète du quotidien, il sait ainsi nous toucher avec des mots simples mais biens choisis. Analyser son Art me semble inutile, mieux vaut écouter sa voix:

pluie de printemps
la petite fille apprend
au chat à danser

un superbe cerf-volant
s'est envolé
de la hutte du mendiant

l'enfant voulait
entre ses doigts
saisir des gouttes de rosée

avec quel regard d'envie
l'oiseau en cage
suit des yeux un papillon!

à l'ombre des fleurs
même un parfait étranger
ne l'est déjà plus

fleurs de cerisiers
dans la nuit - de belles femmes
descendant du ciel

porte de branchages -
pour remplacer la serrure
juste un escargot
et enfin ce dernier poème écrit juste avant sa mort, où il fait allusion au bain donné au nouveau-né et au dernier bain donné au mort:

du premier baquet
jusqu'à l'ultime baquet -
de vaines paroles

Pas si vaines, puisqu'elles résonnent si puissamment depuis ...
Partager cet article
Repost0
25 avril 2006 2 25 /04 /avril /2006 12:11
Taneda Soichi, dit SantokaLa vie de Taneda Soichi (1882-1940), plus connu sous son nom de plume de Santoka (le feu au sommet de la montagne) aurait pu inspirer un romancier, ou même un réalisateur de cinéma.

On y trouve en effet tour à tour tragédie, drame, rédemption et rechute, acceptation sereine de son sort et fin prématurée. Il n'est pas jusqu'à l'apparence caractéristique de ce personnage complexe, avec son grand chapeau de paille et ses petites lunettes rondes à la Trotsky ou à la John Lennon qui ne se prête pas à un traitement cinématographique.

Né le second d'une famille assez aisée de cinq enfants, Soichi plonge dans le drame dès l'âge de onze ans, lorsque sa mère se suicide en se jetant dans un puits, désespérée par les infidélités répétées de son mari. Très sensible, l'enfant restera marqué à vie par la vision du corps inanimé de sa mère. C'est désormais sa grand-mère qui l'élèvera, sans pour autant combler le manque affectif qui va avoir une influence déterminante sur toute sa vie.

Doué d'une grande intelligence et attiré par la poésie, Soichi entre à vingt ans à l'université de Tokyo, où il commence à écrire sous le pseudonyme de Santoka. Malheureusement, loin de sa famille et de son village natal, perdu dans la grande ville, il sombre dans l'alcool et dans la dépression et doit rentrer chez lui.

La gestion calamiteuse de son père conduit ce dernier à vendre une partie de ses terres. Il ne trouve ensuite rien de mieux que d'ouvrir une fabrique de saké et d'y faire travailler son fils!  Evidemment, Santoka boit de plus en plus, tandis que son incorrigible père continue à courir le jupon de plus belle. Désirant stabiliser son fils, le père arrange un mariage avec une jeune fille du voisinage, Sato Sakino. En dépit de la beauté de la jeune épouse et de la naissance d'un fils, Ken,  Santoka continue à boire et le mariage se révèle malheureux.

Parallèlement, Santoka commence à écrire des haïkus dans une forme totalement libre, inspirée par Seisensui, ardent défenseur du haïku moderne : ni versification en 5-7-5, ni mot de saison. Il commence à collaborer à la revue Soun (stratus) fondée par Seisensui.

Après la faillite familiale, Santoka quitte son village natal accompagné de sa femme et de son fils et se rendent chez un ami dans l'île de Kyu-Shu. C'est le début d'une période difficile, où la petite famille tente de monter diverses affaires, sans succès en grande partie parce que Santoka est dépressif et alcoolique. Sakino finit par demander le divorce et Santoka part pour Tokyo où il devient bibliothécaire.

C'est là que se produit le second événement qui va donner un nouveau cours à sa vie. Dépressif,  il tente de se suicider une nuit de décembre 1924, debout sur une voie ferrée. Le train s'arrête de justesse et Santoka est recueilli par le supérieur du temple Zen voisin. Il se remet lentement et, dans ce temple où pour une fois on le lui fait aucun reproche, il commence à méditer et à étudier les textes sacrés, tant et si bien qu'il est ordonné moine zen en 1925!  Le Zen lui apporte le lâcher-prise et la réconciliation avec lui-même.

C'est le début d'une vie de moine-mendiant errant. Tout comme Bashô et surtout Ryôkan avant lui, Santoka sera le dernier des grands haïjins pèlerins. A l'exception de deux ermitages que lui aménageront des amis poètes ou éditeurs, la vie de Santoka sera faite de ces longues errances où il trouve la paix avec l'existence et avec ses propres contradictions. En effet, moine zen, Santoka ne peut toutefois se passer de saké, alors que le Bouddha proscrivait la consommation d'alcool. Le saké lui est aussi nécessaire que la composition de haïkus:  le saké pour le corps, le haïku pour le coeur. Il n'y a pas réellement de différence entre l'alcool et la poésie dont le saké constitue une clé d'accès:

une coupe, plus de différence entre l'est et l'ouest
deux coupes, plus de différence entre jadis et aujourd'hui
trois coupes, plus de différence entre moi et autrui
 
Remarqué par les éditeurs grâce à sa participation à la revue Soun, il publie plusieurs recueils et devient l'ami de Seisensui, son mentor. C'est l'un des nombreux paradoxes de sa vie: reconnu de son vivant comme un grand poète, et vivant une vie de moine-mendiant. Car Santoka ne peut rester en place, c'est dans la marche qu'il trouve son équilibre. Une mauvaise journée est pour lui une journée sans marche, sans saké ou sans avoir écrit de haïku. Il refera ainsi l'itinéraire de Bashô relaté dans L'étroit chemin vers le Nord profond de son illustre prédécesseur. Au passage, il s'arrête chez des amis, parle avec eux de poésie en buvant du saké et repart, infatigable.

Mais cette vie d'errance, combinée à l'excès de boisson, l'use prématurément. Le 10 octobre 1940, une rencontre poétique de la société du kaki (une association poétique créée par Santoka et ses amis) doit avoir lieu. Il écrit :

Après la réunion, j'entamerai un dernier voyage. Je veux me jeter une dernière fois dans la nature. Je n'en ai plus pour très longtemps à vivre et j'aimerais, comme les moineaux et les éléphants, mourir seul, en paix, dans un champ.


Mais Santoka, ivre, dort tandis que ses amis arrivent pour la réunion. Et c'est en silence, seul et en paix qu'il entame effectivement son dernier voyage pendant que ses amis parlent de cette poésie qu'il a tant aimée et servie pendant son court séjour en ce monde flottant ...

Et cette poésie jaillit, claire et spontanée, sans aucune entrave formelle: tout ce qui n'est pas réellement présent dans le coeur ne relève pas du haïku, écrivait-il. Ici, nulle entrave. Pas de 5-7-5 ni de kigo, mais une pure expérience. Le "je" est donc souvent présent, contrairement au style classique. Il se dégage des haïkus de Santoka une évidence poétique et une fraîcheur extraordinaires. Le thème du voyage revient bien sûr souvent:

du matin au soir
écoutant le bruit de mes pas
je marche

sur mes pieds fatigués
une libellule
s'est posée

sur ma robe de moine
toute déchirée
des graines d'herbes

me voilà
là où le bleu de la mer
est sans limite

et ce poème où l'errance de l'oiseau est aussi la sienne:

le corbeau croasse
le corbeau vole
nulle part où se fixer

Le voyage n'est pas qu'une fuite en avant aveugle, il est aussi l'occasion d'une réflexion sur soi-même et sa mort inéluctable:

la mort
devant moi
un petit vent frais

ma mort
les herbes
la pluie

Lorsqu'il revient en pélerinage dans son village natal, personne ne reconnaît dans ce vieux moine-mendiant le fils de la jadis aisée famille Taneda. Avec une ironie savoureuse il écrit:

dans mon village natal
au profond de la nuit
rêvant de mon village natal

Toujours présents, comme le Yin et le Yang, le saké et l'eau, dont il est aussi grand amateur:

ivre
je m'endors
avec les grillons

j'ai soif
d'eau
le bruit d'une cascade

légèrement ivre
les feuilles des arbres
se dispersent

le goût de l'eau
me pénètre le coeur
voici l'automne

Et lorsque Santoka se fixe dans un ermitage, la sérénité de ses poèmes n'est pas sans évoquer celle de Ryôkan:

j'ouvre la fenêtre
la fenêtre pleine
de printemps

sur la table inondée de soleil
j'écris une longue
longue lettre

de la montagne
des fleurs blanches
sur la table

Toutefois, les vieux démons reprennent parfois le dessus et après une tentative ratée de suicide aux somnifères, il écrit:

le vent des montagnes
dans la clochette
un puissant désir de vivre

Finalement, c'est l'acceptation sereine de son sort:

qu'y faire?
sur mes contradictions
le vent souffle

mon passé
mon avenir
la clarté de la neige

et enfin, ce dernier poème:

ma silhouette vue de dos
s'éloignant
dans la pluie d'automne
Partager cet article
Repost0
9 mars 2006 4 09 /03 /mars /2006 09:39

La météo est toujours aussi mauvaise, et je n'ai pas envie aujourd'hui d'écrire encore sur la bruine, la grisaille et le reste.

J'ai plutôt envie de revenir sur Ryôkan, le moine-poète aux mille facettes. Non content d'être un grand poète et d'avoir écrit des commentaires d'une remarquable subtilité sur certains sutras (textes bouddhistes), Ryôkan ne dédaignait pas l'ironie, la malice, voire la dérision. C'est loin d'être incompatible avec le Zen, cela dit. Dégonfler les baudruches est souvent un bon moyen de faire comprendre ce qu'est le lâcher-prise.

Ryôkan a peut-être ainsi été amusé par la vénération un peu outrée dont était l'objet Bashô, son grand prédécesseur. On l'imagine écrivant, avec un sourire en coin :

à la pleine lune
je me mesure au bananier
de mon jardin
 

Sachant que "bananier" se dit "bashô" (niwa no bashô to), notre Ryôkan ne semble pas mécontent que son ombre au clair de lune soit peut-être plus grande que le bananier, à moins que l'on ne parle de poésie ...

De même, au fameux :

vieille mare
une grenouille plonge
le bruit de l'eau
 

de Bashô, Ryôkan répond :

 

jeune mare
une grenouille plonge
pas le moindre bruit !
 

L'impertinence ne m'étant pas étrangère, je ne vois pas de raison de ne pas m'en mêler :

 

jeune ou vieille mare
j'y saute à pieds joints
plouf ! j'éclabousse

 
 

 

Partager cet article
Repost0
2 mars 2006 4 02 /03 /mars /2006 09:00

Pour ceux qui conçoivent le haïku comme la poésie du Zen, Ryôkan constitue une providentielle figure de proue. Moine Zen légendaire, c'était aussi un calligraphe renommé et un poète prolifique (il en écrivit environ deux mille huits cents dont seulement une centaine de haïkus).

Il faut dire que le jeune Yamamoto Eizo (son véritable nom) était né en 1758 dans un milieu favorable. Il était le fils d'un riche marchand, chef héréditaire de son village et poète renommé sous le nom de Inan. Son enfance dans son village natal est sans histoire. C'est un enfant calme, généreux et sociable. Dans l'atmosphère lettrée et religieuse de la famille (son père est aussi gardien du temple Shinto local), le jeune Eizo se tourne rapidement vers la spiritualité, à tel point qu'il décide à dix-huit ans d'entrer au monastère zen Koshoji, proche de son village. En principe destiné à succéder à son père en tant que chef du village, il ne montre aucun goût pour les fonctions officielles, un trait de caractère qui persistera toute sa vie.

Il devient donc moine sous le nom de Ryôkan (bon et bienveillant en japonais) et s'investit pleinement dans sa pratique. Quatre ans plus tard, le monastère reçoit la visite du fameux maître Kokusen. Impressionné par sa sagesse et son charisme, Ryôkan repart avec lui au temple Entsuji. Il devient son disciple, restant douze ans au service de Kokusen. Il en profite pour étudier la poésie chinoise, la poésie japonaise classique et la calligraphie. Il devient le disciple préféré du maître, qui le choisit pour successeur. Mais lorsque Kokusen meurt, Ryôkan réalise rapidement que diriger le temple ne lui convient pas. Trop de politique et trop de conflits à gérer pour lui, il trouve finalement peu de différence avec la direction de son village natal qu'il avait refusée seize ans plus tôt.

A trente-cinq ans, Ryôkan quitte donc le temple pour devenir moine errant, unsui (nuage et eau), cheminant dix ans à travers le pays en mendiant pour assurer sa subsistance.

C'est le début de la légende de Ryôkan. Sa grande bonté et sa douceur deviennent vite légendaires. Le rencontrer, dit-on, c'est "comme si le printemps arrivait par une obscure journée d'hiver". 

Il a la réputation d'être aussi bienveillant avec les humains qu'avec les animaux, une sorte de Saint François d'Assise bouddhiste en somme. Ainsi, la légende dit que chaque matin, il ôtait soigneusement ses puces et les déposait à l'entrée de sa hutte pour qu'elles se réchauffent au soleil avant de les replacer sur lui le soir !

une nuit d'été
pour compter toutes mes puces -
veillant jusqu'à l'aube
 

Un jour, un voleur s'introduit dans sa pauvre hutte et lui vole tout ce qu'il a, sauf ses vêtements. Le voleur revient sur ses pas pour les prendre, mais s'enfuit à l'approche de Ryôkan. Ce dernier, dit la légende, le poursuit pour lui remettre ses vêtements, puis rentre tranquillement chez lui. Un merveilleux haïku nous rappelle l'événement :

le voleur m'a tout pris
sauf la lune
à ma fenêtre
 

La balle de tissu qu'il avait confectionnée lui-même et qu'il cachait dans sa manche est en revanche une réalité, restée célèbre. Il l'utilisait pour jouer avec les enfants des villages voisins, allant jusqu'à oublier qu'il était venu là pour mendier sa subsistance, à moins qu'il ne soit tout simplement allé admirer la campagne environnante :

sorti pour mendier mon riz
dans la prairie printanière
je me suis mis à cueillir des violettes
la journée déjà se termine

 
Un jour, il constate qu'un bambou pousse au milieu de sa hutte. Voulant percer un trou dans le toit pour lui ménager un passage avec une bougie, il met le feu à sa demeure. Cet épisode, resté célèbre, lui vaut le surnom de Taigu, grand sot, de la part des paysans des environs. Il ne faut pas voir ce sobriquet comme une insulte, mais plutôt comme un nom affectueux, comme lorsque dans le sud de la France on traite quelqu'un gentiment de "grand couillon"!

Ryôkan finira par revenir dans son village natal pour le service funèbre à la mémoire de son père, qui s'est suicidé en se jetant à l'eau à la suite de problèmes politiques. Il se fixe dans un ermitage non loin de là, sur le versant d'une montagne. Il y passera une grande partie de sa vie, errant toujours de village en village, méditant, calligraphiant et écrivant des poèmes splendides, fortement teintés de son expérience de moine zen :

 

le jardin d'à côté
à travers un trou béant
dans le mur d'argile

 
à cet endroit même
au pied du cerisier en fleur
dormir toute une nuit

 
ramassant du bois
puis traversant le pont
dans la brume du soir

 
tout autour de nous
le monde n'est plus que
fleurs de cerisier

 

j'ai fait pousser autour de ma hutte
des plantes et des fleurs.
maintenant, je m'en remets
à la volonté du vent.
 

A soixante ans, l'âge le force à venir s'installer au pied de la montagne puis, neuf ans plus tard, chez l'un de ses amis.  C'est là qu'il rencontre la bonzesse Teishin (Cœur fidèle en japonais). Entre le vieux moine et la belle jeune femme de vingt-neuf ans naît immédiatement un sentiment très tendre, mêlé de respect mutuel. Teishin est aussi une lettrée et une poétesse. Leurs poèmes liés comptent parmi ce que la littérature amoureuse japonaise a de plus beau :

 

Est-ce vraiment toi que j'ai vu
ou cette joie que je ressens encore
est-elle seulement un rêve?
-- Teishin

 
Dans ce monde d'illusion
nous sommeillons et parlons de rêve.
Rêve, continue à rêver, autant qu'il te plaira.
-- Ryôkan

 
Ici avec toi je pourrais demeurer
des jours et des années
silencieuse comme la pleine lune
que nous avons regardée ensembles.
-- Teishin

 

M'as-tu oublié
ou as-tu oublié le chemin de ma demeure?
Je t'ai attendue tout le jour, tous les jours
mais tu n'es pas venue.
-- Ryôkan
 

La lune, j'en suis sûre, brille haut dans le ciel
au-dessus des montagnes
mais de sombres nuages amoncelés
en noient le sommet dans l'ombre
--Teishin

 

Tu dois t'élever
au-dessus des nuages sombres
couvrant le sommet de la montagne
sinon comment pourrais-tu jamais voir la lumière?
-- Ryôkan

 
Lorsqu'il s'éteint à l'âge de soixante-quatoze ans le 6 janvier 1831, Ryôkan murmure à Teishin qui lui tient la main ce dernier haïku :

 

montrant leur envers
puis leur endroit
les feuilles dispersées par le vent d'automne

 
Elle lui répond tendrement, poursuivant jusqu'au bout leur dialogue poétique et amoureux:

on voit au loin les vagues
elles viennent
elles repartent

Teishin, la bien nommée Cœur fidèle, consacrera le reste de sa vie à rassembler et à faire connaître l'oeuvre de celui qu'elle aimait. Elle disparaîtra à l'âge de soixante-quinze ans, nous ayant légué l'oeuvre immense de ce moine-poète hors du commun.
 

 

Partager cet article
Repost0
2 février 2006 4 02 /02 /février /2006 10:19
Buson est né en 1716 à Kema en banlieue d'Osaka dans une famille de paysans. Il y restera une vingtaine d'années, se passionnant dès son plus jeune âge pour la pratique de la peinture.
Il part ensuite à Edo (l'ancien nom de Tokyo) afin d'approfondir son art et d'étudier la poésie. C'est là qu'il s'initie au haïku sous la férule du Maître Senzan, puis de Hayano. Ce dernier, parfois appelé Soa, est un disciple de Kikaku et Ransetsu, eux-mêmes disciples de Bashô.

A la mort de son Maître, Buson commence à voyager, comme son illustre devancier Bashô, tout en peignant et en écrivant. Il se fixe vers 1750 à Kyoto pour parfaire ses études de peinture. Il mène alors de front son activité de peintre, ouvrant une école et également un atelier, et son activité de poète, fondant une association poétique.  Il déménage plusieurs fois, prenant le nom de Yosa Buson après avoir habité le village de Yosa, et continue à voyager, tandis que sa réputation de peintre grandit.

Ce n'est pas que sa poésie soit en retrait par rapport à sa peinture, il devient même le Maître de l'Ecole de poésie de Kyoto, c'est tout simplement qu'il est l'un des meilleurs peintres de son temps, l'un des plus prolifiques aussi. Cela éclipsera un temps son génie de poète, bien qu'il arrête totalement de peindre pour se consacrer entièrement à la poésie  dans les dernières années de sa vie.

Il voue une admiration toute particulière à Bashô, son grand devancier, dont il restaure l'ermitage avec sa femme, Tomo.

C'est tout comme lui au retour d'un voyage, un périple au mont Yoshino, que la maladie  rattrapera ce pélerin infatigable en 1782. Il se remet, mais il ne résiste pas au plaisir d'aller cueillir des champignons près de Kyoto. Il retombe gravement malade et sent la mort venir. Elle viendra le prendre entouré des siens le 25 décembre 1783. On l'enterrera non loin de l'ermitage de Bashô.

La poésie de Buson est bien celle d'un grand peintre, ici c'est l'oeil et la qualité de son regard qui frappent, tout comme le sens de la composition. Là où Bashô se caractérise par l'humanité, la simplicité et une certaine truculence, Buson se montre souvent plus lyrique. Il manie les mots comme son pinceau, avec une précision qui impressionne :

la journée s'étire -
un faisan vient se poser
sur le pont de bois


Ses haïkus sont construits comme ses tableaux, sur plusieurs plans admirablement étagés :

montant jusqu'au ciel
parfum des fleurs de prunier -
halo de la lune

son amour de la nature est évident :

la rivière d'été
passée à gué, quel bonheur
les savates à la main


mais il sait aussi voir le détail qu'il saura rendre avec une certaine tendresse :

le foulard de la fillette
trop bas sur les yeux
un charme fou

ou cette idylle naissante qui nous rappelle Brassens (un coin de parapluie) :

ondée printanière
s'en vont en devisant
manteau de paille et parapluie


Mais Buson sait aussi être incisif, notamment à l'égard du clergé qu'il n'épargne pas :

sa grandeur l'abbé
chiant
sur la lande fanée

et pratique aussi volontiers l'auto-dérision :

du chicot qui me reste
je mords le pinceau gelé
la nuit


Sa grande admiration pour Bashô se révèle dans cet hommage :

Bashô nous a quittés
depuis lors
l'an ne s'est pas terminé


en écho au célèbre haïku de son prédécesseur :

l'année se termine
chapeau, sandales de paille -
je les porte encore!


Peintre-poète qui avait choisi sur le tard de se consacrer exclusivement au haïku, Buson ira jusqu'au bout, écrivant la veille même de sa mort trois dernières pièces dont celle-ci, chant du cygne admirable :

fleurs de prunier blanches
et cette nuit qui devient
la lueur de l'aube
 
Partager cet article
Repost0
18 janvier 2006 3 18 /01 /janvier /2006 15:40
Aujourd'hui, je ne parlerai pas des Maîtres du haïku, mais de mes propres Maîtres.
Je dis souvent que j'ai eu beaucoup de professeurs, mais peu de Maîtres. Plus les études sont longues, plus la liste des enseignants s'allonge, mais ceux qui ont vraiment compté dans la vie d'un môme, d'un ado ou d'un jeune adulte restent dans un petit cercle très fermé. Suite à l'article de mon collègue et néanmoins pote Mathieu sur la question, j'ai eu envie de rendre hommage à ma petite "ligue des gentlemen extraordinaires".

Il y eut d'abord M.Michel en 6è. Il organisait sa classe comme un petite république, avec président, secrétaire, trésorier  et des équipes sur le même modèle comme autant de petites associations ou entreprises. Il nous donna ainsi par la pratique plus d'instruction civique en un an que tous les livres qu'on nous faisait acheter sur la question et  ... jamais ouvrir.

Ensuite, il y eut "Tonton" en 5è, ainsi surnommé à cause de de sa bonhomie et de sa barbe fournie. Il était aussi professeur de philo pour les "grands" de terminale, ce qui lui conférait un prestige certain (et nous flattait aussi dans un sens, on n'avait pas n'importe qui en Français, nous!) Jusqu'ici, on nous apprenait des "récitations", avec lui, nous avons découvert la Poésie. Premier cours : Harmonie du soir de Baudelaire.Nous n'étions pas habitué à tous ces mots flamboyants ni à ces images, qu'il nous expliqua: le sang qui se fige pour le coucher de soleil, la forme particulière de ce poème (un pantoum, chant malais avec des reprises). Nous étions bouche-bée. Le samedi suivant, tous les gamins savait le poème par coeur.  Il enchaîna donc sur L'invitation au voyage, et nous parla de Marie Laurencin, d'Amsterdam et des amours compliquées de Charles Baudelaire. Le samedi suivant, nous savions tous ce poème, pourtant plus long, et que je devais retrouver bien plus tard puisque je suis tombé dessus à l'oral du Bac!
Alors, il nous lut Baudelaire: l'albatros, l'horloge, le voyage ... Il lisait bien, très bien, et la foudre nous tomba dessus. Trente gamins scotchés par la Poésie, n'en croyant pas leurs oreilles, stupéfaits qu'on puisse faire ÇA avec des mots. J'entends encore sa voix résonner: Remember, esto memor (mon gosier de métal parle toutes les langues). Il enchaîna ensuite sur Nerval (mon préféré), Verlaine, Rimbaud et tous les autres.
Pierre, si tu me lis, merci pour toutes les portes que tu as ouvertes.

Il y eut aussi M.G.  en Seconde, habillé comme un parfait Anglais avec son long manteau et son parapluie de gentleman de la City. Féru de classiques, il s'emportait contre les Romantiques, qu'il trouvait affectés et opposait toujours le Un seul être vous manque et tout est dépeuplé de Lamartine, jugé lourd et réthorique, au Ariane ma soeur, de quelles amours blessées vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissées? de Jean Racine, dont les allitérations rendaient bien mieux le sentiment d'absence. Il avait ses préférés: La Fontaine, dont il nous fit découvrir le côté satyrique et politique. Jamais je ne lus les Fables de la même manière après les avoir étudiées avec lui. Il y avait aussi le Tartuffe de Molière, les Essais de Montaigne, les Pensées de Pascal, Les enfants terribles de Cocteau et enfin son obsession pour Bouvard et Pécuchet de Flaubert, dont il lisait de longs extraits de manière admirable, lui aussi.

Enfin, en Première, il y eut Maurice Bourg, un authentique poète. Créateur de la SAPE (Société des Amis de la Poésie de l'Essonne), c'était également un fabuleux lecteur, ou plutôt interprète de la Poésie. Il vivait véritablement le poème, et  jamais je n'entendis le bateau ivre de Rimbaud comme il nous le lut un matin. Nous avions beau avoir grandi, nous étions redevenu les gosses auxquels Pierre avait révélé Baudelaire.
Il nous fit connaître d'autres poètes : Lautréamont (Maldoror ... Maldoror ...), Mallarmé ... Il organisait le samedi après-midi les feux de bois de la SAPE auxquels il convia Marcel Béalu, Roger Caillois et bien d'autres. Un authentique poète, qui ne vivait que par et pour la Poésie.

Que des profs de lettres, donc. Étonnant pour un scientifique? Peut-être, mais je vais vous confier une chose: je n'aime pas qu'on essaye de me faire rentrer dans une petite boîte. Je ne suis ni scientifique, ni littéraire, je suis ... éclectique.  C'est un peu grâce à ces Maîtres, qui m'ont fait aimer tant d'auteurs divers. Qu'ils en soient remerciés ici.
Partager cet article
Repost0
30 décembre 2005 5 30 /12 /décembre /2005 16:29
Hashimoto Takako (1899-1963) fut une haïjin à une époque où on ne laissait guère les femmes s'exprimer autrement que dans le carcan de la tradition. Née et élevée à Tokyo, Takako était la petite-fille du directeur de la très réputée école de Koto Yamada, instrument dont elle était elle-même une virtuose. On s'attendait à ce qu'elle succède un jour à son grand-père, mais elle perd son père à l'âge de douze ans et on la fiance bientôt avec un homme de dix ans son aîné. Elle épouse ainsi Hashimoto Toyojiro en 1917 et, symboliquement, renonce définitivement à la pratique du koto. Toyojiro est architecte. Il a fait en partie ses études aux Etats-Unis et a l'esprit plutôt ouvert pour l'époque. Il est sincèrement épris de sa jeune et belle épouse et va encourager ses penchants artistiques. Dans une villa de style Tudor que Toyojiro a fait construire au sommet d'une colline, le couple accueille de nombreux artistes et écrivains. Auprès du voisinage, ils font figure de "stars hollywoodiennes" avec leur grosse voiture, très rare pour l'époque.

Parmi les invités du couple figurent plusieurs auteurs de haïkus, notamment des femmes, dont Sugita Hisajo. A cette époque, émergent plusieurs haïjins féminines qui incarnent le changement culturel de l'ère du Meiji. Elles s'écartent résolument du rôle traditionnel dévolu à la femme japonaise et incarnent le féminisme naissant au Japon. Une voie qui ne pouvait qu'intéresser un esprit indépendant et brillant comme celui de Takako.

Encouragée par son époux, Takako apprend à vingt-deux ans l'art du haïku avec Sugita Hisajo, faisant preuve d'excellentes dispositions. Son mentor publie ses premières oeuvres dans des revues locales, attirant rapidement l'attention sur la jeune poétesse. Sa renommée croît rapidement, et à moins de trente ans, elle est reconnue à la fois pour son art et pour sa grande beauté.

Malheureusement, son mari bien-aimé tombe malade et décède en 1937, la laissant élever leurs quatre filles. Jusqu'au bout, elle se sera occupée de lui et ne se remettra jamais tout à fait de cette perte.

Ne cessant d'écrire des haïkus, impliquée dans plusieurs cercles de poètes et revues de haïkus qu'elle fonda ou aida à fonder, Hashimoto Takako s'affirme comme la haïjin la plus populaire du Japon. Même après son décès d'un cancer en 1963, divers sondages auprès des amateurs du genre la placent régulièrement en tête.

Son style est sobre, proche de la tradition. La première fois que j'ai eu l'occasion de lire ses oeuvres (grâce à Jean Antonini de l'AFH, qu'il en soit chaudement remercié ici), j'ai été littéralement cloué sur place  par la puissance évocatrice des haïkus de Takako, qui puisent directement dans son histoire personnelle des accents très émouvants, sans toutefois céder un seul instant au pathos dont un occidental n'hésiterait pas à user. Hélas, ses oeuvres sont difficiles à trouver. Les poèmes suivants sont extraits de Neige des lointaines cimes publié et traduit par Makoto Kemmoku et Patrick Blanche au Japon. C'est en lisant de telles merveilles que je mesure le chemin que j'ai à parcourir ...

Le parfum des lys
Une infirmière qui peigne
les cheveux d'un mort

Mon époux couvert
par les chrysanthèmes blancs
Juste en soustraire un

Neige impétueuse
Dans ses bras je me trouvais
le souffle coupé

Le bout d'une lame
pénétrant la pêche rose
cassant le noyau

En lambeaux mon passé
Par poignées tombent les
fleurs de cerisier

Regrets de mon époux...
La chouette me hulule
de m'éteindre aussi
Deux sites (hélas en Anglais) consacrés à Hashimoto Takako:
Partager cet article
Repost0