25 juillet 2008
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09:21

Après six mois d'arrêt, on me dit que mon écriture a encore évolué. C'est bien possible, il me semble en effet qu'elle est plus dépouillée qu'avant. Cela dit, elle ne me satisfait toujours pas. Je trouve qu'elle manque encore de naturel, qu'elle ne va pas suffisamment de soi.
Je commence à percevoir un peu plus précisément ce qui fait la "saveur" caractéristique du haiku. Il me semble que c'est la conjonction judicieuse de deux images (parfois trois, mais c'est plus rare et plus difficile à écrire sans verser dans la "liste de courses").
L'extrême brièveté du haïku débarasse ces deux images de tout élément parasite et concentre l'attention du lecteur sur elles et sur les rapports qu'elles entretiennent. Ce rapport fait la richesse du haïku. Il peut s'agir d'un rapport d'analogie, d'un glissement de sens subtil ou au contraire d'un antagonisme plus ou moins fort.
La juxtaposition des deux images ouvre en fait un espace plus ou moins vaste que le lecteur est supposé visiter. Il y trouvera des résonances avec son vécu, sa culture, son histoire, et plus elles seront profondes, plus il appréciera le haïku en question.
Il ne s'agit donc pas, comme le font la plupart des générateurs automatiques de haïkus, d'écrire une ligne concernant la météo (pour avoir le fameux kigo, ou mot de saison), puis d'insérer une image de nature et de terminer par une seconde n'ayant strictement aucun rapport pour faire un haïku correct.
L'espace entre les images vient de l'oeil particulier du poète et de sa capacité à associer à ce qu'il voit une autre chose vue ou vécue. C'est aussi un domaine où je dois m'améliorer. Plus le regard est large, plus la conscience est vaste, et plus l'oeil peut embrasser un maximum de choses, dont une ou deux émergeront plus particulièrement pour donner naissance au haïku. Une petite conjonction de choses qui provoquera chez le haïjin une émotion, un serrement de coeur ou un sourire qui lui vaudra la peine d'être apprivoisé en quelques mots qui formeront le haïku.
Il faut pour cela rester ouvert, garder une innocence que décrit pour moi parfaitement ce que disait le grand réalisateur Kenji Mizoguchi : "il faudrait se laver les yeux entre chaque regard".
Garder cette innocence des yeux pour continuer à s'émerveiller et parler des nuages ou des hirondelles sans trop se répéter par exemple...
Ensuite, il s'agit de ne pas trop encombrer l'espace que l'on ouvre entre les deux images en imposant trop sa propre vision au lecteur. Il doit être libre de poser le regard où il veut. c'est ce qui fait la richesse du haïku . Il ne faut ni lui mettre des oeillères, ni l'empêcher de tourner la tête en quelque sorte. Il faut donc suggérer plutôt qu'imposer (Francis, si tu me lis ...)
Dans cette quête du regard panoramique et de l'expression floue, j'ai fait hier une petite expérience.
Je traversais le parc voisin du bureau quand j'ai croisé une graine volante flottant silencieusement dans le sous-bois. On peut y voir de multiples choses, depuis la simple analogie humoristique jusqu'à une métaphore de la condition humaine. Entre les deux ... un vaste espace. Typiquement ce qui me semble pouvoir faire un bon haïku.
Je note donc rapidement : marchant sans but, je croise une graine volante, sans but elle aussi.
Le travail d'élagage commence. Marchant est inutile, on se doute que je ne vole pas, et "sans but" devrait suffire à suggérer une promenade. En outre, je me mets en retrait en utilisant le participe présent au lieu de la conjugaison à la première personne. La version initiale est donc:
sans but
croisant une graine volante
sans but non plus
croisant une graine volante
sans but non plus
Quelque chose me gêne. Ce "non plus" est un gros bouton sur le nez du haïku. Au bout de trois ou quatre relectures à mi-voix , je n'entends plus que lui. Il ferme trop, que ce soit au point de vue sens ou sonorité. Il dénonce trop lourdement l'analogie entre l'homme et la graine, il l'impose. Et il suffit de le lire à haute voix pour être gêné par ce "non plus" sur lequelle chute lourdement le tercet. Nouvelle version :
sans but
croisant une graine volante
sans but
croisant une graine volante
sans but
Voilà qui me parait mieux. Mais à la réflexion, la construction en miroir me fait un peu tiquer. Il me semble qu'elle fait un peu trop "technique d'écriture" et surtout qu'elle insiste encore lourdement sur l'analogie homme-graine. Certes, c'est le décalage initial qui m'a donné envie d'écrire le haïku, mais n'est-ce pas un peu téléphoné?
A ce point, je suis un peu ennuyé, parce que les deux premières lignes me paraissent bonnes. Comment remanier la troisième, où tailler encore dans la matière?
Et si ... je la supprimais tout simplement? Cela ne fait que deux lignes, un "duilien" :
sans but
croisant une graine volante
croisant une graine volante
L'intérêt est une ouverture maximum. Il y a juste le compte-rendu de l'instant. Libre à chacun d'y voir, d'y vivre sa propre expérience. Mais à force d'ouvrir l'espace du poème, ne vais-je pas carrément le désintégrer?
Il y avait eu récemment sur la liste haiku-fr un petit débat sur l'élagage dans l'expression, débat vif et animé dont l'humour n'était pas absent (certains commencaient même à élaguer les sigles ;-) La conclusion provisoire était qu'il ne fallait peut-être pas pousser le bouchon trop loin.
Certes, le minimalisme est un art difficile. Certains le pratiquent avec un grand talent, comme Marcel Peltier qui écrivait il y a un certain temps des perles comme celles-ci :
ciel dégagé -
l'unique étoile
du berger
l'unique étoile
du berger
Pas une syllabe de trop, et pourtant tout le ciel nocturne est là, avec Vénus pour l'éclairer. Tout est dans le choix des mots, une telle rigueur est le fruit d'une longue réflexion. Tout comme les pauses et silence en musique sont de la musique, il y a ici autant de poésie dans les silences que dans les mots qu'ils relient.
Depuis, Marcel a entrepris une recherche que l'on peut suivre sur son site Moments Ouverts à la Poésie Minimaliste (MOP) où il écrit ce qu'il appelle des "fragments", conscient sans doute qu'il suit un sentier qui n'est plus forcément celui du haïku. Ces fragments brillent d'un éclat bien à eux et sont souvent des duiliens, même si -que Marcel n'hésite pas à s'exprimer sur cette remarque en commentaire- il arrive que le titre soit, me semble-t-il, une première ligne "déguisée" qui reconstitue le ternaire du haïku. Je vous conseille fortement d'aller lire ces fragments d'un art difficile, exigeant et courageux.
Alors, ma troisième version est-elle encore un haïku (je rappelle que l'écriture sur trois lignes n'est qu'une convention occidentale ignorée au Japon) ou un fragment?
Ce sera la question du jour. Quelle version préférez-vous et pourquoi?
A vous lire en commentaires!