31 août 2006
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Il se trouve que l'un des ouvrages conseillés, Poèmes de tous les jours par Ôoka Makoto (éd. Philippe Picquier poche) contient d'excellents exemples de ce regard très particulier des extrêmes-orientaux sur le monde qui donne à leur poésie cette saveur très particulière qui m'a amené au haïku.
Ôoka Makoto est un poète, essayiste et critique japonais. Il tient depuis 1979 dans le grand quotidien Asahi une rubrique inittulée Poèmes de tous les jours dans laquelle il présente et commente un poème classique ou moderne, le situant dans son contexte et donnant une courte notice biographique de l'auteur. Une brève analyse fournit juste ce qu'il faut d'informations pour que le lecteur continue par lui-même ce que Ô.Makoto ne fait qu'esquisser. Le livre présente une sélection de cent de ces poèmes. L'ouvrage est très bien fait, et je le recommande chaleureusement à tout amateur de poésie japonaise.
J'ai relevé deux poèmes, deux tankas, qui illustrent ce que j'appellerai le "regard japonais" et qui me feraient presque éprouver le complexe du gaïjin:
dans la transparence de mon coeur s'en est allé la nuit
tourné vers elle pourtant j'en oubliais la lune
tourné vers elle pourtant j'en oubliais la lune
Empereur retiré Hanazono (1297-1348)
dans leur science du temps les fleurs des champs d'automne
ont toutes le parfum des rayons de lune
ont toutes le parfum des rayons de lune
Jien (1155-1225)
Le premier montre à quel point la direction et l'angle du regard sont importantes. Au plus profond du poète, son coeur, il intériorise tant la nuit qui l'enveloppe qu'il en oublie la lune, unique source de clarté, sur laquelle il avait pourtant les yeux fixés. A sa place, un poète occidental, surtout un romantique, aurait chanté la beauté et la douceur de la nuit et la qualité si particulière de la lumière sélène. Ce faisant, il serait resté à l'extérieur de cette nuit qui n'aurait fourni qu'un décor propre à nourrir son lyrisme. Tout à fait différente est l'approche du poète japonais, qui intériorise et fait totalement sienne cette nuit au sein de laquelle il se fond au point d'oublier tout éclat extérieur, en eût-il la plus importante source devant les yeux. Au passage, heureux temps et heureux pays où les empereurs retirés devenaient poètes (toute allusion à un "retraité de l'île de Ré" existant ne serait pas tout à fait fortuite ni involontaire ...)
Dans le second tanka, la nature est merveilleusement mise en avant, et là encore par et pour elle-même. Les fleurs se voient dotées d'une merveilleuse sagesse, d'autant plus fascinante que l'homme ne l'a pas: la science du temps qui passe. Cette science leur permet de "savoir" quand elles doivent s'ouvrir et, par un changement de perspective proprement génial, leur parfum en vient à être attribué à la lune, leur donnant une qualité cosmique qui englobe de ce fait tout l'Univers. Sagesse et unicité de la Nature, pure observation de la part du poète qui, totalement absent du tanka, ne fait que peindre ce qu'il voit et donner à cette Nature le premier rôle. Aucun poète occidental n'aurait eu cette approche.
C'est cela le regard que je cherche. Il y a encore du travail!