Gérard Oury vient de disparaître, et avec lui une certaine conception du rire au cinéma, celle qui a accompagné mon enfance.
Basé principalement sur le comique de situation et le comique visuel, l'humour de ces films est inséparable des comédiens qui l'ont interprété: l'abattage et les mimiques d'un de Funès, la naïveté et la tendresse d'un Bourvil...
Nous n'échapperons sans doute pas à la programmation opportuniste de soirées-hommage, ce qui permettra aux différentes chaînes de repasser des films usés jusqu'à la corde. Les jeunes les verront sans doute avec un oeil ironique, car l'humour a bien changé depuis La grande vadrouille ou Les aventures de Rabbi Jacob.
Je crois que la rupture a eu lieu vers 1974, après le premier choc pétrolier. Avec l'arrivée de la crise, la vie est devenue plus dure, et l'humour s'est durci également. Fini le rire bon enfant, fini les mimiques et les tartes à la crème. De visuel, le comique a glissé vers le verbe, et surtout vers l'acide. Coluche a commencé son irrésistible ascension, et l'équipe du Splendid a imposé au cinéma un comique plus vache, basé avant tout sur les bons mots et les formules cultes ("c'est cela, oui", "j'étais sur le point de conclure", "vous croyez qu'il y a une ouverture?"). D'autres ont suivi, l'humour est devenu réellement acerbe avec Etienne Chatilliez ou Cédric Klapisch.
L'humour " à la Oury" était bel et bien relégué au musée, et on le vit bien avec La soif de l'or (1993), où les procédés comiques directement hérités des années 70 se révèlent totalement usés et m'ont laissé une impression pénible. Le casting avait pourtant mis le paquet, avec Catherine Jacob, Tsilla Chilton (l'odieuse Tatie Danielle de Chatilliez) et un Christian Clavier récemment auréolé par le succès phénoménal des Visiteurs. Hélas, Clavier n'est pas de Funès, et la mayonnaise ne prend pas. Significativement, les nouvelles stars du rire ne peuvent s'insérer dans l'univers d'Oury.
L'humour est semble-t-il définitivement devenu plus cérébral, plus verbal et surtout presque invariablement vache. Si on rit, c'est de quelque chose ou de quelqu'un, le sommet en la matière me semblant être le dîner de cons de Francis Weber. Un film où j'ai ri, certes, mais un peu jaune, tout en appréciant la performance de Jacques Villeret, digne de celle d'un Bourvil en son temps.
Nostalgie? Oui, un peu, car l'humour devrait pouvoir être gratuit, s'exercer dans l'absolu et non pas aux dépens de quelqu'un. Il doit aussi pouvoir laisser l'intelligence au repos le temps d'un bon fou rire. Dès que l'intelligence s'en mêle, la vacherie n'est pas loin en matière d'humour. Je revendique le droit de rire idiot, car comme le disait Gainsbourg, la connerie est la décontraction de l'intelligence.
Si donc certains se demandent pourquoi on fait tout un plat de la disparition du créateur du Corniaud, qu'ils regardent quelques films sans préjugés et en oubliant leurs références comiques récentes. Ils y découvriront une époque sympathique où le rire pouvait être innocent.