9 mai 2006
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Je viens de me procurer et dévorer le numéro spécial hors-série que Lire consacre à ce véritable phénomène. Oeuvre française la plus traduite à l'étranger (plus de 150 langues et dialectes, y compris régionaux) , il s'en serait écoulé environ 80 millions d'exemplaires depuis 1943, dont plus de huit millions et demi en France.
On apprend énormément de choses intéressantes dans ce hors-série très bien documenté, notamment sur la genèse du Petit Prince et sur la vie de l'écrivain à New-York au moment où il écrit ce qui sera son livre le plus célèbre. Au delà du mythe Saint-Ex et des controverses qu'il a pu faire naître, on découvre un grand ours pataud et écorché vif, passionné et touchant. Sait-on qu'il fut espionné par le FBI parce que, n'ayant pas assez nettement condamné le régime de Vichy, on le soupçonnait de travailler pour eux? Mais les limiers de J Edgar Hoover ne pourront que rendre compte de "son idéal élevé et son attachement total aux nations unies alliées contre les fascismes européens et japonais". On apprend aussi que Saint-Exupéry, peu confiant en ses talents de dessinateur, a longtemps cherché un illustrateur pour le Petit Prince avant qu'il ne devienne évident que lui seul pouvait le faire, le petit personnage dessiné sur un coin de nappe de restaurant étant bien la source du conte. Il y a aussi les influences croisées de ses amis, de son épouse Consuelo et de ses maîtresses (ce grand écorché vif ne pouvait s'empêcher de séduire). Moins glorieux, il y a aussi la gestion très pragmatique de l'héritage de l'aviateur-écrivain, avec son site de produits dérivés, les "contresens rutilants, affligeants" selon Philippe Delerm.
On apprend aussi que le célèbre "Dessine-moi un mouton" est déposé! Mais les héritiers ont fait "cadeau" des droits à Mylène Farmer, qui en avait fait le titre d'une chanson, en raison de la célébrité de la chanteuse et donc de la "pub gratuite" qu'elle leur procurait incidemment!
Peu importe, seul compte pour moi le livre.
Il faut dire que Saint-Exupéry et moi, c'est une vieille histoire, où intervient un troisième acteur: mon père. Mon père, qui m'a élevé en me disant qu'il fallait toujours laisser aux autres "le bénéfice du doute", était nourri des livre de Saint-Ex. Sans le savoir, il allait me transmettre le virus, juste en le citant au détour d'une conversation, juste en laissant traîner "Vol de nuit" sur une table de nuit où bien mon préféré "Terre des hommes". Je confesse avoir mis du temps à apprécier Le Petit Prince, qui me paraissait curieusement simpliste. Ce n'est qu'après avoir lu Citadelle, oeuvre posthume restée inachevée, que le déclic s'est produit. J'avais en fait affaire au même livre, mais ce qui était longuement développé dans Citadelle était tout entier contenu, pur et fulgurant, dans le concis Petit Prince.
J'ai grandi avec ces livres qui parlaient de dépassement de soi, de tolérance et d'amitié. J'ai grandi avec la légende de l'aéropostale, dont le site, de manière assez choquante, mentionne à peine Saint-Ex. Plus tard, dans la cour du gymnase Racine du lycée Saint-Louis, où j'étais en prépa, j'ai cherché et trouvé sur le monument des anciens élèves de Saint-Louis morts pour la France le nom d'Antoine de Saint-Exupéry. C'est sans doute idiot, mais cela me faisait quelque chose de me dire qu'il avait parcouru cette cour et ces couloirs, sué sang et eau sur une interro de Math dans les mêmes "thurnes" (des salles minuscules où l'on prépare et passe les "colles", les interrogations orales). J'ai même cherché, mais aucun petit prince dessiné sur un coin de pupitre ou de mur ne subsistait.
Saint-Ex disparut un jour d'été 1944 sur son P38, en silence, sans même un "Coupons moteur arrière droit" comme son ami Mermoz. Comme le Petit Prince.
Sans doute lirai-je le Petit Prince à mon fils dans quelque temps. En tout cas, pour l'endormir ou pour le distraire, et même si c'est un contresens rutilant, je lui allume une lampe magique représentant le Petit Prince. Et il n'en semble pas le moins du monde affligé.
Toutes les grandes personnes ont d'abord été des enfants. (Mais peu d'entre elles s'en souviennent.)
J'essaye de m'en souvenir tous les jours...