16 juillet 2008
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13:41
Dimanche, je suis retourné voir ma mère.
Il m'a fallu trois jours pour digérer cette visite et écrire ce billet. J'avertis mes lecteurs que les senryûs qui accompagnent ce récit pourront mettre mal à l'aise. Ils sont le reflet de ce que j'ai vu, ni plus ni moins, et de mon propre malaise.
Contrairement à la semaine dernière, le temps était plutôt maussade. Pas question dans ces conditions d'une promenade dans le parc.
J'ai trouvé tout de suite ma mère dans la salle commune du rez-de-chaussée. Cela m'a fait un choc. D'ordinaire, ma mère est chez elle, et même si elle a perdu une grande partie de ses facultés, elle est dans un décor familier, elle reste quoi qu'il arrive la maîtresse de maison. Rien de semblable ici. Dans son fauteuil roulant, les yeux dans le vague et tripotant de manière convulsive son corsage, elle n'était plus qu'une patiente parmi d'autres.
Je suis allé m'asseoir à côté d'elle. C'était une expérience peu plaisante. Les personnes qui m'entouraient étaient plus ou moins en possession de leurs moyens. Il n'y avait pratiquement que des femmes, ce qui confirme leur espérance de vie supérieure à la nôtre. Il n'y avait qu'un homme, encore capable de marcher. Légèrement voûté, un sourire de gamin expiègle aux lèvres, il était assis sur une chaise, les mains jointes comme s'il ne savait quoi en faire. Lui au moins avait l'air heureux de son sort, au point de nous offrir le seul sourire de l'après-midi.
Les autres patientes étaient en majorité clouées à leur fauteuil roulant, certaines pouvant se déplacer, d'autres non.
Maman me serrait la main à la briser, elle m'avait reconnu bien sûr. Je lui ai raconté les dernières nouvelles de la famille. Autour de nous, certaines patientes nous fixaient avec une insistance gênante. Il y avait un peu de tout, ce qui rendait l'ambiance assez pesante.
De temps en temps, un souvenir d'un passé éloigné remontait à la surface
Un peu plus loin, une dispute éclata entre deux dames qui conversaient jusque là tranquillement.
Deux aides-soignantes réalisant mon malaise vinrent gentiment discuter avec moi. Elles s'occupent régulièrement de Maman et me rassurèrent sur son état. Elles ont une grande habitude de la maladie d'Alzheimer et du désarroi des familles. Leurs paroles me réconfortèrent.
Regardant autour de moi, je réalisai qu'à bien des égards, une maison de retraite ressemble à une crèche. Dans les deux cas, on y prend soin de personnes dépendantes demandant avant tout de l'amour. Du reste, lorsque je demande des nouvelles de Maman à Papa, il emploie pratiquement les mêmes mots que moi pour parler de mes enfants. Malheureusement, l'évolution des uns et des autres ne se fait pas dans la même direction ...
Maman ne communiquait pratiquement plus que par la pression de sa main sur la mienne. Et je me surpris à une étonnante inversion des rôles.
Vieille. Un mot que je n'aurais jamais pensé associer un jour à ma mère tant elle était demeurée jeune d'esprit et fonceuse avant le déclenchement de cette satanée maladie. Un mot et une réalité que je dois à présent accepter. La maladie évolue, impitoyablement. La différence avec l'an dernier, lorsque mon père avait pris du repos pour la première fois, est flagrante. Il y a un an, j'écrivais :
Pourrait-elle encore cette année boire seule une tasse de ce thé qu'elle aime tant?
Et puis vint l'heure du dîner, et je dûs prendre congé. J'étreignis ma mère, qui me le rendit bien, et je dûs partir, le coeur lourd.
En rentrant, je passai non loin de la rivière de mon enfance, une rivière qui coule au pied de l'hôpital où Maman avait été traitée pour une embolie pulmonaire.
En dépit de la gentillesse et de la compétence indéniables du personnel de cette maison de retraite, je mesure à quel point cette fin de vie n'est déjà plus tout à fait la vie. Je rentrai chez moi un peu déphasé. Je retrouvai ma femme et mes enfants si pleins de vie, et j'eus le sensation de m'éveiller d'un mauvais rêve.
Je le répète : je ne souhaiterais pas cette maladie à mon pire ennemi.
Il m'a fallu trois jours pour digérer cette visite et écrire ce billet. J'avertis mes lecteurs que les senryûs qui accompagnent ce récit pourront mettre mal à l'aise. Ils sont le reflet de ce que j'ai vu, ni plus ni moins, et de mon propre malaise.
Contrairement à la semaine dernière, le temps était plutôt maussade. Pas question dans ces conditions d'une promenade dans le parc.
J'ai trouvé tout de suite ma mère dans la salle commune du rez-de-chaussée. Cela m'a fait un choc. D'ordinaire, ma mère est chez elle, et même si elle a perdu une grande partie de ses facultés, elle est dans un décor familier, elle reste quoi qu'il arrive la maîtresse de maison. Rien de semblable ici. Dans son fauteuil roulant, les yeux dans le vague et tripotant de manière convulsive son corsage, elle n'était plus qu'une patiente parmi d'autres.
salle commune
tous ces vieillards anonymes
parmi eux ma mère
tous ces vieillards anonymes
parmi eux ma mère
Je suis allé m'asseoir à côté d'elle. C'était une expérience peu plaisante. Les personnes qui m'entouraient étaient plus ou moins en possession de leurs moyens. Il n'y avait pratiquement que des femmes, ce qui confirme leur espérance de vie supérieure à la nôtre. Il n'y avait qu'un homme, encore capable de marcher. Légèrement voûté, un sourire de gamin expiègle aux lèvres, il était assis sur une chaise, les mains jointes comme s'il ne savait quoi en faire. Lui au moins avait l'air heureux de son sort, au point de nous offrir le seul sourire de l'après-midi.
seuil du réfectoire -
il entame un pas de danse
avec l'infirmière
il entame un pas de danse
avec l'infirmière
Les autres patientes étaient en majorité clouées à leur fauteuil roulant, certaines pouvant se déplacer, d'autres non.
Maman me serrait la main à la briser, elle m'avait reconnu bien sûr. Je lui ai raconté les dernières nouvelles de la famille. Autour de nous, certaines patientes nous fixaient avec une insistance gênante. Il y avait un peu de tout, ce qui rendait l'ambiance assez pesante.
souriant aux anges -
sous le fauteuil roulant
une flaque
sous le fauteuil roulant
une flaque
De temps en temps, un souvenir d'un passé éloigné remontait à la surface
maison de retraite -
elle s'éveille et entame
une vieille romance
elle s'éveille et entame
une vieille romance
Un peu plus loin, une dispute éclata entre deux dames qui conversaient jusque là tranquillement.
maison de retraite -
deux petites vieilles s'engueulent
en se vouvoyant
deux petites vieilles s'engueulent
en se vouvoyant
Deux aides-soignantes réalisant mon malaise vinrent gentiment discuter avec moi. Elles s'occupent régulièrement de Maman et me rassurèrent sur son état. Elles ont une grande habitude de la maladie d'Alzheimer et du désarroi des familles. Leurs paroles me réconfortèrent.
Regardant autour de moi, je réalisai qu'à bien des égards, une maison de retraite ressemble à une crèche. Dans les deux cas, on y prend soin de personnes dépendantes demandant avant tout de l'amour. Du reste, lorsque je demande des nouvelles de Maman à Papa, il emploie pratiquement les mêmes mots que moi pour parler de mes enfants. Malheureusement, l'évolution des uns et des autres ne se fait pas dans la même direction ...
maison de retraite -
au mur les photos du dernier goûter
comme à la crèche
au mur les photos du dernier goûter
comme à la crèche
Maman ne communiquait pratiquement plus que par la pression de sa main sur la mienne. Et je me surpris à une étonnante inversion des rôles.
pour réconforter
ma vieille mère malade
- des gestes de père
ma vieille mère malade
- des gestes de père
Vieille. Un mot que je n'aurais jamais pensé associer un jour à ma mère tant elle était demeurée jeune d'esprit et fonceuse avant le déclenchement de cette satanée maladie. Un mot et une réalité que je dois à présent accepter. La maladie évolue, impitoyablement. La différence avec l'an dernier, lorsque mon père avait pris du repos pour la première fois, est flagrante. Il y a un an, j'écrivais :
chambre 509
son nom sur la porte
Maman
son nom sur la porte
Maman
chambre 509
elle y dort paisiblement
Maman
elle y dort paisiblement
Maman
chambre 509
dans sa tasse de thé
les reflets du passé
dans sa tasse de thé
les reflets du passé
Pourrait-elle encore cette année boire seule une tasse de ce thé qu'elle aime tant?
Et puis vint l'heure du dîner, et je dûs prendre congé. J'étreignis ma mère, qui me le rendit bien, et je dûs partir, le coeur lourd.
crépuscule -
sa peau sent toujours les fleurs
Maman
sa peau sent toujours les fleurs
Maman
En rentrant, je passai non loin de la rivière de mon enfance, une rivière qui coule au pied de l'hôpital où Maman avait été traitée pour une embolie pulmonaire.
la brume sur la rivière
y retrouverai-je
la raison de ma mère?
y retrouverai-je
la raison de ma mère?
En dépit de la gentillesse et de la compétence indéniables du personnel de cette maison de retraite, je mesure à quel point cette fin de vie n'est déjà plus tout à fait la vie. Je rentrai chez moi un peu déphasé. Je retrouvai ma femme et mes enfants si pleins de vie, et j'eus le sensation de m'éveiller d'un mauvais rêve.
Je le répète : je ne souhaiterais pas cette maladie à mon pire ennemi.