6 janvier 2006
5
06
/01
/janvier
/2006
13:23
Nous y voilà!
La plupart des sites ou ouvrages traitant du haïku en donnent une définition très formelle: un poème court de dix-sept syllabes réparties en trois lignes de 5, 7 et 5 syllabes. J'ai moi-même débuté ce blog comme ça. Or, il suffit de lire des haïkus classiques japonais traduits en Français pour s'apercevoir que cette règle n'est que très rarement respectée. Il en est de même des haïkus écrits directement en Français ou dans d'autres langues. Alors? haïkus ou simples poèmes courts? Noter que les divers éditeurs ou sites en ligne proposant des concours de haïkus exigent d'ailleurs souvent le 5-7-5, comme s'il s'agissait là du seul critère faisant d'un tercet un haïku. C'est bien sûr faux, mais il faut reconnaître que c'est un critère objectif facile à vérifier.
Ce débat agite régulièrement les haïjins. Il y a les puristes, tels Philippe Costa qui, dans son Petit manuel pour écrire des haïkus (éd. Philippe Picquier), prône un respect absolu des contraintes de forme ce qui forcerait selon lui à se montrer plus créatif.
Cela se défend, lorqu'on voit ce qu'un Racine, un Baudelaire ou un Nerval ont pu faire dans le format très contraignant du sonnet et de l'alexandrin. Et Philippe Costa d'ajouter: Je crois pouvoir affirmer que vous n'obtiendrez aucune reconnaissance des "hommes de l'art" si vous passez outre aux contraintes de métrique, et ce même si vos poèmes témoignent de la meilleure verve poétique.
Voilà qui a le mérite d'être clair. Voire ... car trois lignes plus loin, l'auteur préconise une certaine souplesse dans certains cas concernant le nombre de syllabes. Et de recourir aux procédés poétiques classiques: élision du e final, diérèse (prononcer vi-o-lon, soit trois syllabes, au lieu de vio-lon, deux syllabes) etc. Et de citer page suivante Tôhô, disciple de Bashô: la nouveauté est la fleur du haïkaï, reconnaissant que la poésie ne s'accommode pas de règles figées.
Inversement, Henri Brunel dans Sages ou fous les Haïkus? (éd. Calmann Lévy) écrit en parlant du haïku français : la règle des dix-sept syllabes est rarement appliquée, et note que : chaque langue suit la pente de son génie singulier, et le Français, plus disert que le Japonais se plie moins facilement à la règle des dix-sept syllabes.
Et en effet, les fameuses dix-sept syllabes réparties en lignes de cinq et sept syllabes font partie du patrimoine poétique japonais et sont au moins aussi importantes que l'alexandrin dans la poésie française.
La langue japonaise est plus elliptique, ne comporte pas d'articles et le sujet d'un verbe peut être omis. Elle est naturellement syllabique (les caractères représentent une syllabe) ce qui en rend le compte facile. Mieux, certains mots n'ont pas une réelle signification, ils font office de ponctuation. On trouvera ainsi souvent dans les originaux japonais ya et kana qui sont respectivement une interjection et une marque d'admiration respectueuse (kana termine fréquemment un haïku). Ces deux mots sont très commodes lorsqu'il manque une ou deux syllabes et n'ont pas le caractère un peu artificiel d'un oh! ou d'un ah! français. Et lorsqu'il y a trop de syllabes, il suffira d'enlever un sujet ou deux et le tour sera joué. Le Français est loin d'offrir ce type de facilité, ce dont sont du reste bien conscients les Japonais francophones, qui mesurent bien le fossé qui sépare nos deux langues. J'ai eu l'occasion de parler de haïku avec trois d'entre eux, et ils étaient très surpris lorsque je leur ai dit que nous tentions de respecter la métrique 5-7-5 et stupéfaits lorsque je leur ai montré ... qu'on y parvenait!
En dépit de toutes ces facilités, les maîtres japonais classiques ont parfois pris quelques libertés avec le 5-7-5. On sait aussi qu'à la fin du dix-neuvième siècle, Hekigodo prôna une liberté de forme, se débarassant même du kigo, le mot de saison et bien évidemment de la contraignante métrique.
Sur les listes de diffusion consacrées au haïku, on lit un peu de tout, mais il n'y a généralement pas d'attitude systématique. On voit souvent que le haïku anglophone tourne autour de quatorze-quinze syllabes (concision de l'Anglais), alors que le Français peut aller jusqu'à une vingtaine du fait de sa structure. Il n'en demeure pas moins que certains, au prix d'un choix très soigneux des mots, se font adeptes d'un minimalisme (une douzaine de syllabes) impressionnant. Tout est dit en 3-5-3 (Marcel, Robert, si vous me lisez ...) sans fioritures inutiles ni, et c'est un exploit, aucune sécheresse. Je reste admiratif, car je me reproche souvent mon côté verbeux (d'ailleurs, cet article ...).
Un exemple de ce minimalisme dû à Marcel :
Pas un mot de trop. Et pourtant lorsque je lis ce haïku, je suis sous le ciel nocturne, et je vois Vénus briller au-dessus de moi. Imparable, magnifique.
Pour ma part, j'adopte comme souvent la "voie du milieu". J'apprécie le 5-7-5 pour son rythme ternaire, son bel équilibre, notamment dû à l'alternance court-long-court. Cependant, je ne lis pas le Japonais, et ce n'est qu'à travers leurs traductions françaises que j'ai pu apprécier les haïkus des Maîtres. La métrique 5-7-5 y était très rarement respectée, et pourtant, j'y ai trouvé cette "saveur" qui me plaît tant et m'a donné envie de m'y essayer. Comment donc considérer la métrique comme un critère absolu? Ce serait incohérent.
Lorsque je compose un haïku, j'essaye donc toujours à priori d'écrire un 5-7-5. Selon que j'obtiens un poème trop long ou trop court, ma démarche est bien différente :
trop long: je tente, sans torturer la syntaxe ni verser dans le style télégraphique, de mieux choisir mes mots pour obtenir un 5-7-5. Si je ne peux y parvenir mais que je suis à dix-huit syllabes, je m'estime satisfait. Il est rare que je dépasse ce compte. Au delà, j'estime que ma construction ou mon choix de mots peuvent gagner en concision, et c'est le signe qu'il faut retravailler le verset. Souvent, c'est un défaut dans l'angle sous lequel j'ai initialement présenté les choses, et ce remaniement est alors salutaire pour la force et la pureté du résultat final.
trop court: cela m'a posé problème au début, et cela me posait toujours problème jusqu'il y a un ou deux mois. Autant gagner en concision permet d'épurer le trait et de gagner en force, autant "rallonger la sauce" est néfaste et ne fait qu'affadir.
Ainsi du haïku qui a donné son titre à ce blog:
ce qui donne un 4-6-3 (treize syllabes). J'ai bien essayé de faire un 5-7-5 :
Félicitations, vous venez d'assister à un beau massacre. Ce qui était léger (le karumi cher à Bashô) s'est irrémédiablement alourdi de toutes ces chevilles (grand, heureux), et au lieu d'allongé, je pourrais plutôt dire vautré, parce que c'est bien ce que j'ai fait avec cet essai!
Toute la pureté de cette nuit à la belle étoile, toute la force de la situation s'est envolée, engluées dans une prosodie de convenance où les ajouts ... n'ajoutent rien!
Et pourtant, c'est un 5-7-5.
Après de nombreux essais, et après avoir pris l'avis d'haïjins expérimentés en qui j'ai toute confiance (Francis, Yves, si vous me lisez ...), j'en reste définitivement à mon 4-6-3, même s'il ne constitue pas ce que j'appelle un haïku canonique.
L'esprit doit avoir priorité sur la lettre. Kana
La plupart des sites ou ouvrages traitant du haïku en donnent une définition très formelle: un poème court de dix-sept syllabes réparties en trois lignes de 5, 7 et 5 syllabes. J'ai moi-même débuté ce blog comme ça. Or, il suffit de lire des haïkus classiques japonais traduits en Français pour s'apercevoir que cette règle n'est que très rarement respectée. Il en est de même des haïkus écrits directement en Français ou dans d'autres langues. Alors? haïkus ou simples poèmes courts? Noter que les divers éditeurs ou sites en ligne proposant des concours de haïkus exigent d'ailleurs souvent le 5-7-5, comme s'il s'agissait là du seul critère faisant d'un tercet un haïku. C'est bien sûr faux, mais il faut reconnaître que c'est un critère objectif facile à vérifier.

Cela se défend, lorqu'on voit ce qu'un Racine, un Baudelaire ou un Nerval ont pu faire dans le format très contraignant du sonnet et de l'alexandrin. Et Philippe Costa d'ajouter: Je crois pouvoir affirmer que vous n'obtiendrez aucune reconnaissance des "hommes de l'art" si vous passez outre aux contraintes de métrique, et ce même si vos poèmes témoignent de la meilleure verve poétique.
Voilà qui a le mérite d'être clair. Voire ... car trois lignes plus loin, l'auteur préconise une certaine souplesse dans certains cas concernant le nombre de syllabes. Et de recourir aux procédés poétiques classiques: élision du e final, diérèse (prononcer vi-o-lon, soit trois syllabes, au lieu de vio-lon, deux syllabes) etc. Et de citer page suivante Tôhô, disciple de Bashô: la nouveauté est la fleur du haïkaï, reconnaissant que la poésie ne s'accommode pas de règles figées.

Et en effet, les fameuses dix-sept syllabes réparties en lignes de cinq et sept syllabes font partie du patrimoine poétique japonais et sont au moins aussi importantes que l'alexandrin dans la poésie française.
La langue japonaise est plus elliptique, ne comporte pas d'articles et le sujet d'un verbe peut être omis. Elle est naturellement syllabique (les caractères représentent une syllabe) ce qui en rend le compte facile. Mieux, certains mots n'ont pas une réelle signification, ils font office de ponctuation. On trouvera ainsi souvent dans les originaux japonais ya et kana qui sont respectivement une interjection et une marque d'admiration respectueuse (kana termine fréquemment un haïku). Ces deux mots sont très commodes lorsqu'il manque une ou deux syllabes et n'ont pas le caractère un peu artificiel d'un oh! ou d'un ah! français. Et lorsqu'il y a trop de syllabes, il suffira d'enlever un sujet ou deux et le tour sera joué. Le Français est loin d'offrir ce type de facilité, ce dont sont du reste bien conscients les Japonais francophones, qui mesurent bien le fossé qui sépare nos deux langues. J'ai eu l'occasion de parler de haïku avec trois d'entre eux, et ils étaient très surpris lorsque je leur ai dit que nous tentions de respecter la métrique 5-7-5 et stupéfaits lorsque je leur ai montré ... qu'on y parvenait!
En dépit de toutes ces facilités, les maîtres japonais classiques ont parfois pris quelques libertés avec le 5-7-5. On sait aussi qu'à la fin du dix-neuvième siècle, Hekigodo prôna une liberté de forme, se débarassant même du kigo, le mot de saison et bien évidemment de la contraignante métrique.
Sur les listes de diffusion consacrées au haïku, on lit un peu de tout, mais il n'y a généralement pas d'attitude systématique. On voit souvent que le haïku anglophone tourne autour de quatorze-quinze syllabes (concision de l'Anglais), alors que le Français peut aller jusqu'à une vingtaine du fait de sa structure. Il n'en demeure pas moins que certains, au prix d'un choix très soigneux des mots, se font adeptes d'un minimalisme (une douzaine de syllabes) impressionnant. Tout est dit en 3-5-3 (Marcel, Robert, si vous me lisez ...) sans fioritures inutiles ni, et c'est un exploit, aucune sécheresse. Je reste admiratif, car je me reproche souvent mon côté verbeux (d'ailleurs, cet article ...).
Un exemple de ce minimalisme dû à Marcel :
ciel dégagé -
l'unique étoile
du berger
l'unique étoile
du berger
Pas un mot de trop. Et pourtant lorsque je lis ce haïku, je suis sous le ciel nocturne, et je vois Vénus briller au-dessus de moi. Imparable, magnifique.
Pour ma part, j'adopte comme souvent la "voie du milieu". J'apprécie le 5-7-5 pour son rythme ternaire, son bel équilibre, notamment dû à l'alternance court-long-court. Cependant, je ne lis pas le Japonais, et ce n'est qu'à travers leurs traductions françaises que j'ai pu apprécier les haïkus des Maîtres. La métrique 5-7-5 y était très rarement respectée, et pourtant, j'y ai trouvé cette "saveur" qui me plaît tant et m'a donné envie de m'y essayer. Comment donc considérer la métrique comme un critère absolu? Ce serait incohérent.
Lorsque je compose un haïku, j'essaye donc toujours à priori d'écrire un 5-7-5. Selon que j'obtiens un poème trop long ou trop court, ma démarche est bien différente :
trop long: je tente, sans torturer la syntaxe ni verser dans le style télégraphique, de mieux choisir mes mots pour obtenir un 5-7-5. Si je ne peux y parvenir mais que je suis à dix-huit syllabes, je m'estime satisfait. Il est rare que je dépasse ce compte. Au delà, j'estime que ma construction ou mon choix de mots peuvent gagner en concision, et c'est le signe qu'il faut retravailler le verset. Souvent, c'est un défaut dans l'angle sous lequel j'ai initialement présenté les choses, et ce remaniement est alors salutaire pour la force et la pureté du résultat final.
trop court: cela m'a posé problème au début, et cela me posait toujours problème jusqu'il y a un ou deux mois. Autant gagner en concision permet d'épurer le trait et de gagner en force, autant "rallonger la sauce" est néfaste et ne fait qu'affadir.
Ainsi du haïku qui a donné son titre à ce blog:
couché sur l'herbe
dans mon manteau d'étoiles
j'ai dormi
dans mon manteau d'étoiles
j'ai dormi
ce qui donne un 4-6-3 (treize syllabes). J'ai bien essayé de faire un 5-7-5 :
allongé sur l'herbe
dans mon grand manteau d'étoiles
heureux, j'ai dormi
dans mon grand manteau d'étoiles
heureux, j'ai dormi
Félicitations, vous venez d'assister à un beau massacre. Ce qui était léger (le karumi cher à Bashô) s'est irrémédiablement alourdi de toutes ces chevilles (grand, heureux), et au lieu d'allongé, je pourrais plutôt dire vautré, parce que c'est bien ce que j'ai fait avec cet essai!
Toute la pureté de cette nuit à la belle étoile, toute la force de la situation s'est envolée, engluées dans une prosodie de convenance où les ajouts ... n'ajoutent rien!
Et pourtant, c'est un 5-7-5.
Après de nombreux essais, et après avoir pris l'avis d'haïjins expérimentés en qui j'ai toute confiance (Francis, Yves, si vous me lisez ...), j'en reste définitivement à mon 4-6-3, même s'il ne constitue pas ce que j'appelle un haïku canonique.
L'esprit doit avoir priorité sur la lettre. Kana
