2 décembre 2005
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Mes premiers contacts avec la poésie japonaise datent de l'époque où j'étais en Math Sup'
A l'époque, j'ingurgitais 14h de cours de math par semaine, 10h de physique et 4 de chimie, plus le travail personnel. Voilà pourquoi on appelle familièrement les élèves Math Sup' et Math Spé' des "taupes".
J'ai toujours été le vilain petit canard chez les scientifiques, parce que j'aime aussi les lettres. La différence est pour moi très simple: les sciences, c'est mon boulot, les lettres, mes loisirs. C'est pourtant simple, mais je ne compte pas les occasions où j'ai dû le faire comprendre, non sans mal, à mes profs.
Or donc, entre deux espaces euclidiens et deux applications du premier principe de la thermodynamique, j'avais besoin de me changer les idées. Je pratiquais à l'époque le Karaté et le Taï Chi Chuan , j'avais bien besoin aussi d'une activité physique, et j'avais donc passablement la tête en Asie. En allant chez Gibert acheter une enième compilation de problèmes et d'exercices de math, j'avais acquis au passage une Anthologie de la poésie japonaise classique réunie par G. Renondeau (éd. Poésie/Gallimard)
Partant des origines de la poésie japonaise, dès les premiers siècles de notre ère, cette anthologie se termine à l'ère Tokugawa par les grands Maîtres du haïku. Ce fut mon premier contact avec cette forme de poésie, et je dois dire que le déclic ne se fit pas immédiatement, tant il y avait déjà des merveilles dès la période dite "archaïque".
Les Japonais ont, semble-t-il, toujours aimé la poésie, et particulièrement les formes courtes. Les poèmes longs (chôka) semblent ainsi, dès la fin du VIIIè siècle, laisser place à des poèmes courts de 31 syllabes réparties en cing lignes de 5-7-5-7-7 syllabes, forme appelée tanka.
Bien plus tard, le tercet initial 5-7-5, le hokku, sera en quelque sorte extrait du tanka pour vivre une vie autonome: le haïku tel que nous le connaissons.
Il serait toutefois dommage, injuste et même sectaire d'ignorer les perles classiques antérieures au haïku telles que celle-ci:
ou encore:
deux poèmes de Ki no Tsurayuki (Xè siècles). Le second est à mon goût le plus beau poème d'amour que je connaisse avec le poème "A la Mystérieuse" de Rober Desnos.
Et que dire de ce paysage d'hiver peint par la princesse Shikishi, fille de l'empereur Go Shirakawa au XIIIè siècle:
J'étais à l'époque plus sensible à ces tankas qu'aux haïkus qui terminaient l'ouvrage. J'étais très influencé par les poètes romantiques et symbolistes, dont ces tankas me paraissaient plus proche par la liberté de l'expression. Sur 31 syllabes, on a le temps d'évoquer des images et des sentiments. L'implacable fulgurance du haïku, qui peint un monde en 17 syllabes sans pour autant le figer, était encore trop forte pour moi.
Les poètes japonais écrivaient ensemble en ateliers, et il n'était pas rare qu'ils enchaînent les tankas et les hokkus en un long renga (poème lié), inventant ainsi ce que les surréalistes redécouvriront avec le cadavre exquis. L'extraction du tanka, puis du hokku, devenu haïku, va dans le sens d'une épuration de l'expression, d'une véritable distillation pour ne garder que l'essence de la poésie.
Ce mécanisme est très bien décrit par Maurice Coyaud dans son Tanka, haïku, renga - Le triangle magique (éd. Les Belles Lettres).
Aller droit au but, rechercher l'essentiel, épurer son expression. Regarder, juste regarder. Suggérer sans imposer. Tout ceci paraît si facile lorsqu'on lit les oeuvres des Maîtres, et pourtant ...
Ceci me rappelle une anecdote rapportée par Vasari. On raconte que le Pape Benoît IX demanda à Giotto de lui donner le plus pur signe de son talent. A main levée, Giotto traça un cercle parfait et l'envoya au souverain pontife. Peut-être est-ce une légende, mais si c'est vrai, le grand peintre aurait fait un fameux haïjin ...
A l'époque, j'ingurgitais 14h de cours de math par semaine, 10h de physique et 4 de chimie, plus le travail personnel. Voilà pourquoi on appelle familièrement les élèves Math Sup' et Math Spé' des "taupes".
J'ai toujours été le vilain petit canard chez les scientifiques, parce que j'aime aussi les lettres. La différence est pour moi très simple: les sciences, c'est mon boulot, les lettres, mes loisirs. C'est pourtant simple, mais je ne compte pas les occasions où j'ai dû le faire comprendre, non sans mal, à mes profs.

Partant des origines de la poésie japonaise, dès les premiers siècles de notre ère, cette anthologie se termine à l'ère Tokugawa par les grands Maîtres du haïku. Ce fut mon premier contact avec cette forme de poésie, et je dois dire que le déclic ne se fit pas immédiatement, tant il y avait déjà des merveilles dès la période dite "archaïque".
Les Japonais ont, semble-t-il, toujours aimé la poésie, et particulièrement les formes courtes. Les poèmes longs (chôka) semblent ainsi, dès la fin du VIIIè siècle, laisser place à des poèmes courts de 31 syllabes réparties en cing lignes de 5-7-5-7-7 syllabes, forme appelée tanka.
Bien plus tard, le tercet initial 5-7-5, le hokku, sera en quelque sorte extrait du tanka pour vivre une vie autonome: le haïku tel que nous le connaissons.
Il serait toutefois dommage, injuste et même sectaire d'ignorer les perles classiques antérieures au haïku telles que celle-ci:
Fleurs de cerisier
Qui ne connaissez le printemps
Que depuis cette année
Puissiez-vous ne jamais apprendre
Qu'un jour vous devrez tomber
Qui ne connaissez le printemps
Que depuis cette année
Puissiez-vous ne jamais apprendre
Qu'un jour vous devrez tomber
Faiblement
Parmi les nuages de fleurs
Des cerisiers de montagne
Je l'ai entrevue
Et je suis amoureux d'elle
Parmi les nuages de fleurs
Des cerisiers de montagne
Je l'ai entrevue
Et je suis amoureux d'elle
Et que dire de ce paysage d'hiver peint par la princesse Shikishi, fille de l'empereur Go Shirakawa au XIIIè siècle:
Je regarde
Et vois que l'hiver est là.
Les canards sauvages
Sont sur la rive de la baie
Qui se prend d'une fine glace.
Et vois que l'hiver est là.
Les canards sauvages
Sont sur la rive de la baie
Qui se prend d'une fine glace.

Ce mécanisme est très bien décrit par Maurice Coyaud dans son Tanka, haïku, renga - Le triangle magique (éd. Les Belles Lettres).
Aller droit au but, rechercher l'essentiel, épurer son expression. Regarder, juste regarder. Suggérer sans imposer. Tout ceci paraît si facile lorsqu'on lit les oeuvres des Maîtres, et pourtant ...
Ceci me rappelle une anecdote rapportée par Vasari. On raconte que le Pape Benoît IX demanda à Giotto de lui donner le plus pur signe de son talent. A main levée, Giotto traça un cercle parfait et l'envoya au souverain pontife. Peut-être est-ce une légende, mais si c'est vrai, le grand peintre aurait fait un fameux haïjin ...