11 octobre 2007
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Le destin littéraire de Tan Taïgi (1709-1771) est un peu étrange. S'il apparaît dans de nombreuses anthologies de haïkus, on ne trouve pas d'ouvrages qui lui soient dédiés, c'est
un peu le "maître discret" du haïku. Cela me paraît assez injuste, car Taïgi possède une musique bien à lui. Trouver des éléments biographiques détaillés est ainsi plutôt difficile, ce qui montre
le relatif désintérêt qu'on lui porte en général. Ainsi, Jean-Jacques Origas dans son Dictionnaire de littérature japonaise l'ignore superbement
...
Taïgi est contemporain de Yosa Buson, ce qui a peut-être contribué à l'éclipser tant Buson est LE haïjin de cette génération. Pratiquement tombé dans l'oubli, c'est à Shiki que l'on doit finalement sa redécouverte. Shiki considérait en effet Taïgi comme le seul maître de haïku valable après Buson.
Il naquit en 1709 à Edo (ancien nom de Tokyo). Taïgi apprit son art auprès du maître Keikitsu, qui faisait partie de la lignée de Kikaku, lui même disciple fameux de Bashô. Kikaku privilégiait l'observation de la vie humaine par rapport à la contemplation de la Nature.
Taïgi s'inscrit dans la grande tradition des haïjins pélerins, qui commence avec Bashô et s'achèvera avec Santoka. Si l'on a peu de détails sur ses périgrinations, on sait qu'il ne se fixera qu'en 1751 dans l'ermitage du poète et maître zen Ikkyû (littéralement "nuage fou"). Influencé par son hôte, il étudia alors le bouddhisme et envisagea un temps la prêtrise, sans toutefois aller jusqu'au bout.
Par la suite, il se fit construire un petit ermitage dans le quartier réservé de Shimahara, où son protecteur Donshi tenait une maison de plaisirs. C'est là que Taïgi passa le restant de sa vie en enseignant l'art du haïku et en faisant l'école aux enfants de ce quartier éminemment vivant ,où il eut l'occasion de cotoyer et fréquenter de nombreux acteurs et gens du spectacle.
Il faut aussi reparler de son amitié avec Buson. Les biographes de ce dernier s'accordent à dire qu'avec Takai Kitô, Chora et Kyôtai, Taïgi aida Buson à mettre au point son style. Ensemble, ils créèrent un courant appelé selon les auteurs "retour au goût de Bashô" ou "dans le style de Bashô". Il s'agissait d'une écriture où les éléments d'une élégance classique (ga) se mélaient à des éléments contemporains issus de la vie quotidienne (zoku). Cette synthèse donna lieu à un style à la fois nouveau et solidement ancré dans la tradition, spontané et sensuel.
A la mort de Taïgi, Buson devient définitivement le chef de file de cette école. Il est toutefois dommage que son oeuvre immense, tant poétique que picturale -Buson est l'un des plus grands peintres de son temps - ait éclipsé celle de son ami Tan Taïgi. Qu'on en juge par les haïkus suivants!
Quoiqu'appartenant à une lignée privilégiant l'observation de la vie humaine, Taïgi excelle dans les haïkus traditionnels traitant de la Nature et des saisons. Il y fait preuve d'un sens aigu de l'observation et d'une expression très subtile.
"c'est le vent du printemps"
disent maître et valet
cheminant ensembles
un doux parfum
mais de quelle fleur ?
le bosquet en été
début de l'automne
après le bain
un sentiment de lassitude
on les balaie
et puis on ne les balaie plus
les feuilles mortes
une à une
les étoiles apparaissent
quel froid!
sous la lune froide
seul je marche
le bruit du pont
pas la moindre pierre
à jeter sur le chien
la lune d'hiver
désolation hivernale -
dans le bassin d'eau de pluie
des moineaux se promènent
Mais c'est surtout dans les croquis pris sur le vif de l'activité humaine que Taïgi excelle. Le quartier réservé lui fournit maint sujets de ces saynètes pittoresques.
(le poisson-coffre, ou fugu, contient un poison fatal. Mal préparé, il est encore de nos jours à la source d'accidents mortels.)
Enfin, l'influence du zen est perceptible dans ces dernières pièces :
un éventail
déposé sur l'autel des voyageurs
au cours d'un pélerinage
le cerisier a fleuri cette nuit.
au delà de la porte du temple,
assieds-toi sur le chemin
des multitudes de moustiques
s'en vont chargés de sang
zazen
brume de montagne -
le gardien du sanctuaire
sonne de la conque
les jours paisibles
de ces années fugitives
oubliés
Taïgi est contemporain de Yosa Buson, ce qui a peut-être contribué à l'éclipser tant Buson est LE haïjin de cette génération. Pratiquement tombé dans l'oubli, c'est à Shiki que l'on doit finalement sa redécouverte. Shiki considérait en effet Taïgi comme le seul maître de haïku valable après Buson.
Il naquit en 1709 à Edo (ancien nom de Tokyo). Taïgi apprit son art auprès du maître Keikitsu, qui faisait partie de la lignée de Kikaku, lui même disciple fameux de Bashô. Kikaku privilégiait l'observation de la vie humaine par rapport à la contemplation de la Nature.
Taïgi s'inscrit dans la grande tradition des haïjins pélerins, qui commence avec Bashô et s'achèvera avec Santoka. Si l'on a peu de détails sur ses périgrinations, on sait qu'il ne se fixera qu'en 1751 dans l'ermitage du poète et maître zen Ikkyû (littéralement "nuage fou"). Influencé par son hôte, il étudia alors le bouddhisme et envisagea un temps la prêtrise, sans toutefois aller jusqu'au bout.
Par la suite, il se fit construire un petit ermitage dans le quartier réservé de Shimahara, où son protecteur Donshi tenait une maison de plaisirs. C'est là que Taïgi passa le restant de sa vie en enseignant l'art du haïku et en faisant l'école aux enfants de ce quartier éminemment vivant ,où il eut l'occasion de cotoyer et fréquenter de nombreux acteurs et gens du spectacle.
Il faut aussi reparler de son amitié avec Buson. Les biographes de ce dernier s'accordent à dire qu'avec Takai Kitô, Chora et Kyôtai, Taïgi aida Buson à mettre au point son style. Ensemble, ils créèrent un courant appelé selon les auteurs "retour au goût de Bashô" ou "dans le style de Bashô". Il s'agissait d'une écriture où les éléments d'une élégance classique (ga) se mélaient à des éléments contemporains issus de la vie quotidienne (zoku). Cette synthèse donna lieu à un style à la fois nouveau et solidement ancré dans la tradition, spontané et sensuel.
A la mort de Taïgi, Buson devient définitivement le chef de file de cette école. Il est toutefois dommage que son oeuvre immense, tant poétique que picturale -Buson est l'un des plus grands peintres de son temps - ait éclipsé celle de son ami Tan Taïgi. Qu'on en juge par les haïkus suivants!
Quoiqu'appartenant à une lignée privilégiant l'observation de la vie humaine, Taïgi excelle dans les haïkus traditionnels traitant de la Nature et des saisons. Il y fait preuve d'un sens aigu de l'observation et d'une expression très subtile.
sieste
la main cesse d'agiter
l'éventail
la main cesse d'agiter
l'éventail
longue journée
mes yeux se sont usé
à contempler la mer
oh! une luciole
je voulais crier : "Regarde!"
mais j'étais seul
enamouré
le chat oublie le riz
qui colle à ses moustaches
"c'est le vent du printemps"
disent maître et valet
cheminant ensembles
un doux parfum
mais de quelle fleur ?
le bosquet en été
début de l'automne
après le bain
un sentiment de lassitude
on les balaie
et puis on ne les balaie plus
les feuilles mortes
une à une
les étoiles apparaissent
quel froid!
sous la lune froide
seul je marche
le bruit du pont
pas la moindre pierre
à jeter sur le chien
la lune d'hiver
désolation hivernale -
dans le bassin d'eau de pluie
des moineaux se promènent
Mais c'est surtout dans les croquis pris sur le vif de l'activité humaine que Taïgi excelle. Le quartier réservé lui fournit maint sujets de ces saynètes pittoresques.
jouant au volant
innocentes
elles écartent les jambes
premier amour
près de la lanterne
visage contre visage
un voleur nez-à-nez avec
un renard
champ de melons
un souffle de vent :
la brise à travers les pins
refroidit la lame dégainée
le balai de bambou
trop froid pour le tenir
laissé sous le pin
en aval
le bruit d'un filet qu'on jette
sous la lune voilée
après la soupe de poisson-coffre
il psalmodie ses prières
jusque dans son sommeil
innocentes
elles écartent les jambes
premier amour
près de la lanterne
visage contre visage
un voleur nez-à-nez avec
un renard
champ de melons
un souffle de vent :
la brise à travers les pins
refroidit la lame dégainée
le balai de bambou
trop froid pour le tenir
laissé sous le pin
en aval
le bruit d'un filet qu'on jette
sous la lune voilée
après la soupe de poisson-coffre
il psalmodie ses prières
jusque dans son sommeil
(le poisson-coffre, ou fugu, contient un poison fatal. Mal préparé, il est encore de nos jours à la source d'accidents mortels.)
Enfin, l'influence du zen est perceptible dans ces dernières pièces :
un éventail
déposé sur l'autel des voyageurs
au cours d'un pélerinage
le cerisier a fleuri cette nuit.
au delà de la porte du temple,
assieds-toi sur le chemin
des multitudes de moustiques
s'en vont chargés de sang
zazen
brume de montagne -
le gardien du sanctuaire
sonne de la conque
les jours paisibles
de ces années fugitives
oubliés